Nous empruntons ce concept à Daniel Welzer-Lang pour tenter d’élever un peu plus le débat. Au fond, le malaise qui peut nous saisir à l’écoute des œuvrettes d’OrelSan ne relève pas tant du sexisme ou de l’homophobie que de l’essentialisme. Le rappeur a eu à s’expliquer sur ces deux éléments et si ses justifications paraissent assez légères, il semble néanmoins que l’on ne puisse l’estampiller homophobe ou sexiste. Toujours au bénéfice du doute. D’ailleurs, comme avec Christine Boutin, nous ne cherchons pas une illusoire vérité de l’âme mais bel et bien, au regard des documents en notre possession, si ces derniers contiennent ou non des propos homophobes, discriminatoires ou en infraction avec une quelconque législation. Nous venons de le voir : il n’en est rien. Par ailleurs, vu l’absence de contenu argumentaire chez OrelSan, toute réfutation est impossible. Alors comment disqualifier quelque chose qui ne relève pas de la pensée ? Il nous reste seulement la critique esthétique mais nous avons décidé de l’écarter, n’éprouvant que peu d’intérêt pour l’exercice. Notre publication pourrait s’arrêter à la manière d’un dialogue platonicien aporétique, si ce n’était ce malaise persistant qui nous force à considérer « Sale Pute », « Joyeuse Saint-Valentin » et les autres textes d’OrelSan en cause d’une autre manière. Et si, le rappeur de Caen, dans ses textes, n’était pas un problème mais le simple symptôme d’un mal plus profond ? Pour revenir sur le précédent paragraphe, nous pensons que le rappeur de Caen dans ses textes commet une atteinte au lien social : en véhiculant l’image de la femme en tant qu’adultère qui ne mérite que de subir la violence, en utilisant l’injure homophobe – certes désinvestie de son caractère discriminatoire flagrant – OrelSan ne fait que perpétuer des schémas traditionnels de pensée. Après tout, dans l’univers imaginaire de cet auteur, l’infidèle doit être sévèrement corrigée, la femme devient la « meuf » tout juste bonne pour la sexualité, réduite à un statut d’objet de désir, celui de l’homme. Ce dernier, d’ailleurs, se doit d’être viril, pas efféminé, pas « fashion », au risque de subir l’estampillage de « PD » (tel qu’énoncé et scandé dans « Changement »). Les textes en cause contribuent à illustrer la hiérarchie des normes sociales dans son classicisme le plus pur : en somme, OrelSan, c’est le rap en tant que soutien à l’ordre symbolique en place. Il n’y a nulle critique dans ses œuvres, ces dernières n’allant qu’au soutien de l’hétérocentrisme ambiant, du sexisme culturel. Ainsi, les personnages d’OrelSan évoluent dans un monde ultranormé où tout est à sa place, tel le fameux garçon de café de Sartre qui se résume à sa fonction. On pourra nous rétorquer qu’il s’agit d’une œuvre de fiction, circonscrite qui plus est dans un format bref : les tourments de l’âme, la diversité et la complexité de l’homme ne pourraient donc être décrits comme ils le mériteraient. Soit. Mais était-ce, pour autant, une raison de ressasser les mêmes clichés nauséabonds encore et encore ? Certes dénués de toute charge morale ou pédagogique mais véhiculant tout de même une certaine vision de la société française. Alors oui, OrelSan est coupable. Non pas devant la loi civile ou pénale mais bel et bien en ce qu’il réduit des individus (la femme, l’homme, l’infidèle, l’homosexuel) à des stéréotypes auxquels ils ne peuvent que se conformer. Il est d’ailleurs significatif de relever que pour se défendre de l’accusation d’homophobie, le jeune rappeur par la voix de son manager explique qu’il est admiratif devant Freddie Mercury… Comme si la discrimination n’était qu’une affaire de goût pour tel ou tel auteur ou artiste, comme si l’homosexualité était définitivement liée à une personne célèbre. Réduisant par la même occasion cette dernière à son orientation sexuelle et niant, dans un second temps, la diversité des personnes à pratiques homosexuelles. Si la culpabilité ne fait aucune doute, il faut relever que ces faits ne tombent sous le coup d’aucune qualification pénale et, principe de légalité oblige, il n’y a nul délit sans texte. Certains pourront s’en désoler, néanmoins il convient de relever que l’existence d’une telle infraction (pour atteinte au lien social permettant le vivre-ensemble, pour réduction de l’individu à telle ou telle qualité réelle ou supposée) serait d’une hypocrisie extrême. Après tout cette hiérarchisation des normes ne se trouve-t-elle pas fixée dans des textes que nul ne songerait à attaquer en justice ? En quoi les propos d’OrelSan sont-ils plus violemment en faveur d’une discrimination quelconque envers les gays que le Lévitique de la Bible ? Cette dernière, avec le fameux verset de Saint Paul selon lequel « l’homme est le chef de la femme » n’organise-t-elle pas une inégalité homme-femme flagrante ? Certes le rappeur de Caen n’a pas l’excuse du style ni celui de l’historicité pour se défendre, mais sur le simple message véhiculé l’atteinte au lien social est de même nature. Pire même ! La loi civile a mis beaucoup de temps avant de réaliser un semblant d’égalité entre les deux sexes (la suppression de la puissance paternelle, la femme qui à une époque était, en quelque sorte, mineure ad vitam) et elle n’est toujours pas au point s’agissant des droits des personnes à pratiques homosexuelles. Qu’est ce qui est pire, scander « PD » dans une chanson et assimiler l’homosexuel au garçon efféminé (façon tous les homosexuels sont efféminés, la réciproque étant juste) ou avoir attendu jusqu’en 1982 pour harmoniser les âges des majorités sexuelles, jusque là différentes en fonction de l’orientation sexuelle de l’individu ? Si OrelSan ne chante pas que l’homosexualité est un fléau social, l’amendement Mirguet de 1962 consacrait une pareille ineptie. Est-ce que cela dédouane pour autant OrelSan de toute responsabilité ? Certes non. Mais quand la société elle-même organise la hiérarchie des sexualités peut-on réellement s’étonner de lire de pareilles choses ? Au fond, la responsabilité en la matière est collective. L’hétérocentrisme et le phallocentrisme passent d’abord par nos propres représentations des faits sociaux : les paroles d’OrelSan ne font que conforter ces mêmes préjugés. Dès lors, plutôt que de contester sa présence dans un festival de musique ou de faire en sorte que ses disques ne soient pas présents au sein d’une médiathèque, ne serait-il pas préférable de construire ? Construire l’avenir du vivre-ensemble en chassant les discriminations partout où elles se trouvent. Le conforter en faisant de la prévention contre les violences, en organisant des lignes d’écoute ou des groupes d’autosupport. Fustiger des chansons de rap peut être utile mais cela ne doit pas faire oublier que l’essentiel de l’action publique doit se situer à un autre niveau. Enfin, il semble urgent et essentiel d’inventer de nouvelles représentations : c’est l’exemple traditionnel du manuel scolaire… où l’homosexualité fait figure de grande absente ! A partir du moment où les seules représentations existantes sont celles du modèle dominant (patriarcal, hétérocentrique), comment s’étonner que la sphère culturelle puisse ponctuellement véhiculer les mêmes schémas de pensée ? Le véritable saut quantique dans la politique des normes sera effectué le jour où l’on mettra de façon indifférente un personnage homosexuel dont l’homosexualité n’est ni le thème de l’œuvre concernée ni même la caractérisation essentiel du protagoniste. En attendant, il est à parier que d’autres polémiques du même acabit voient le jour…