"Garde à vue : Un visiteur inopportun" - revue Prochoix

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Me Katia GUILLERMET, Me Guy NAGEL avocats à Lyon (mise à jour juillet 2010)

Cet article publié dans la revue ProChoix n°52, juin 2010, pp. 53-66 sous le titre « Un visiteur inopportun » décrit le rôle de l’avocat et les enjeux de la réforme survenue depuis lors.
Pour une information pratique consulter : avocat-lyon-garde-a-vue

 

« 2h00. Le téléphone sonne : au bout du fil l’avocat coordinateur. Il vient lui-même d’être appelé par les services de l’hôtel de police de Lyon. Là-bas, un jeune homme est en garde à vue pour des faits de dégradations volontaires de biens privés. Auparavant il était en cellule de dégrisement mais ayant retrouvé ses esprits ses droits ont pu lui être notifiés. Les comprenant, il a décidé de faire prévenir sa femme, de passer un examen médical et de faire appel à l’avocat de permanence. Pour ce dernier, la soirée commence…

Au Barreau de Lyon, les avocats intervenant en garde à vue au titre des désignations d’office sont nombreux : ils sont répartis sept jours sur sept, 365 jours par an par groupes de quatre. La délinquance ne prenant jamais de vacances, le Barreau de Lyon doit assurer la permanence. Il s’agit d’un droit pour la personne gardée à vue posé par l’article 63-4 du Code de Procédure Pénale. Ce dernier impose aux services de police et de gendarmerie de prendre attache avec la permanence pénale dans l’heure, dès que la personne gardée à vue a manifesté son souhait de rencontrer un avocat, soit lors de son placement, soit à l’occasion de la prolongation de la mesure de garde à vue. Ce droit, bien connu du grand public par sa représentation dans les films et séries télévisées, ne permet pas tout néanmoins.

Le fonctionnaire de permanence à l’accueil de l’hôtel de police vérifie la carte professionnelle de l’avocat, puis prévient ses collègues que le conseil du gardé à vue est présent. Celui qui n’est, à ce stade initial de l’enquête, qu’un simple suspect est extrait de sa cellule pour être amené dans une petite pièce sobrement meublée : une table, deux bancs, tous trois rivés au sol. La porte fermée, l’entretien peut commencer. L’avocat n’a que peu de temps et tellement de choses à dire. Pourtant, ce n’est pas forcément à cela que s’attend le gardé à vue.

Le Code de Procédure Pénale fixe la durée maximale de l’entretien à trente minutes, pas une de plus. Ce dernier est confidentiel et l’avocat, tenu par son secret professionnel, ne pourra en tout état de cause révéler le moindre élément communiqué par son client aux services de polices. C’est la moindre des choses et la condition nécessaire pour que l’avocat puisse bien faire son travail. Sans cela, pas de confiance possible et sans confiance possible la défense ne peut être effective. Néanmoins, alors que les présentations viennent d’être faites, le client va déchanter.

Dans notre affaire, le client, qui prétend ne pas se souvenir des faits qui lui sont reprochés en raison de son état d’ébriété, vient de comprendre que l’avocat n’en savait pas plus. Et pour cause ! Les services de police lui ont juste indiqué le nom, le prénom du gardé à vue, le fait qu’il soit mineur, sa date de naissance et la qualification pénale provisoire des faits qui lui sont reprochés. Ni plus, ni moins. Dégradation volontaire de biens privés, cela peut recouvrir tout et rien.

L’ouverture de la possibilité au gardé à vue de s’entretenir avec l’avocat de son choix ou, à défaut, l’avocat de permanence fait suite à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. En effet, cette dernière considère de manière constante que le droit de la défense – droit fondamental s’il en est – concerne non seulement le procès en lui-même, mais également les étapes préparatoires à celui-ci : l’instruction (l’avocat y est présent depuis 1897) et la garde à vue. Cette petite révolution dans la profession semblait répondre aux doutes formulés par le Doyen Georges Vedel en 1980. Ce dernier, alors rapporteur pour le Conseil Constitutionnel de la loi Sécurité et Liberté avait émis les plus grandes réserves quant à la légitimité d’un système où le gardé à vue peut être entendu hors la présence de son avocat. Néanmoins, cette évolution de la législation n’est qu’un cache-misère : en effet, comment conseiller une défense efficace à ce stade de la procédure si le conseil ignore les éléments qui laissent suspecter que son client a commis ou tenté de commettre une infraction ? Pire même ! En laissant l’avocat en dehors des interrogatoires de police, le législateur a souhaité laisser les coudées franches aux officiers de police judiciaire dans la gestion des enquêtes préliminaires et de flagrance. Il s’agit là, peut-être de gagner du temps, mais surtout de satisfaire au dogme de l’aveu. Pourtant, nos voisins européens, à l’exception notable de la Belgique, reconnaissent tous la présence de l’avocat pendant toute la durée de la garde à vue…

L’avocat a fait son travail : il s’est informé du déroulement de la garde à vue. Les droits de son client ont été – a priori – respectés : la notification des droits a été faite, il a pu subir un examen médical à sa demande et les policiers sont restés courtois avec lui. Bien entendu, le jeune homme détenu n’est pas satisfait de sa situation : il ne comprend pas pourquoi il est là, la cellule est sale et sent l’urine et le désinfectant, il est inquiet. Son conseil ne peut presque rien faire : tout au plus déposer un mémoire qui sera annexé au dossier de l’affaire dans lequel il pourra consigner ses observations personnelles ou les éléments qui lui auront été rapportés par le client. A ce stade, ce document ne sert à rien. Mais si le parquet décide de renvoyer l’affaire devant une juridiction, l’avocat pourra se fonder sur les observations consignées pour tenter d’obtenir une nullité de procédure.

Et c’est là où le bât blesse, la mission de l’avocat en garde à vue se limite à la vérification des conditions matérielles de détention, au soutien de la personne en détresse morale et à une discussion sur les suites à prévoir pour l’affaire : abandon des poursuites, renvoi devant le Tribunal Correctionnel à date ultérieure, comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, renvoi devant un juge d’instruction ou devant la terrible chambre des comparutions immédiates… Cette visite, pour reprendre l’expression heureuse de l’ancien Bâtonnier de Paris, Maître Charrière-Bournazel, n’est rien d’autre qu’une visite « de courtoisie ». L’avocat n’y est pas réellement à sa place car personne n’a voulu la lui donner en garde à vue. Ce n’est d’ailleurs pas une situation nouvelle, bien au contraire.

L'origine de la garde à vue

La garde à vue est une notion que l’on peut qualifier de récente à l’échelle de l’histoire du droit. Sous l’ancien régime le dogme qui dominait la phase d’enquête était celui de la protection des citoyens. En effet, le premier jalon de ce qui deviendrait la garde à vue a été posé en 1608 en ouvrant la possibilité d’arrestation d’un citoyen sur initiative des archers du prévôt – autorités de police de l’époque – au seul cas des flagrants délits. Il s’agissait alors d’une mesure exceptionnelle, le principe demeurant l’exigence d’un mandat délivré par le juge d’instruction. Cette règle protectrice a été par la suite étendue à l’ensemble de la maréchaussée par les déclarations de 1636 et du 26 février 1724. Le caractère dérogatoire de droit commun de cette mesure fut rappelé, par ailleurs, par la loi du 28 germinal an VI qui n’autorisait l’arrestation sans mandat qu’à l’encontre des brigands, voleurs et assassins attroupés. De même ces mesures ne conféraient aux services de police aucun pouvoir spécifique lors de l’enquête, réservant ces mêmes pouvoirs aux seuls magistrats. La loi du 7 pluviôse an IX, suivant le même esprit, reconnaissait aux juges de paix, officiers de gendarmerie et maires le droit de faire arrêter le délinquant pris en flagrant délit ou ayant commis un délit emportant une peine afflictive. Dans ce cas, l’agent devait faire conduire le suspect devant le ministère public dans les plus brefs délais. C’est en s’intéressant à cette notion de remise au magistrat et de bref délai que la question de la rétention du suspect par les services de police a pu être posée : en effet le code d’instruction criminelle n’évoquait que le cas de l’arrestation et ne prévoyait en aucune façon cette rétention pourtant rendue nécessaire en pratique. Il s’agissait en effet d’un principe hérité de l’ancien régime : celui de la non rétention par les services de police, principe posé dès 1670. Les accusés qui étaient arrêtés devaient être incessamment conduits en prison, sans pouvoir être détenu en maison particulière. Ce n’est qu’en 1903 (décret du 20 mai 1903) que la possibilité d’une rétention par les services de police a été rendue possible. L’article 307 du Code d’Instruction Criminelle prévoyait en effet la garde à vue comme une éventualité strictement limitée au cas de flagrant délit et justifiée par un événement relevant de la force majeure : celui de l’absence du magistrat. Néanmoins, les services de police ont pris acte de l’existence de ce texte pour développer une pratique officieuse allant de paire avec l’extension de leurs pouvoirs en matière d’arrestation. Paradoxalement cette évolution a été induite par une autre révolution du droit procédural : celle ouverte par une loi de 1897 développant les droits de la défense et permettant, notamment, à l’avocat d’assister son client devant le juge d’instruction. En effet en distinguant de facto deux phases dans le déroulement des opérations d’enquête – la phase d’enquête préliminaire stricto sensu se déroulant hors la présence de l’avocat d’une part, la phase d’instruction prévoyant l’assistance par un conseil d’autre part – la loi de 1897 a créé la nécessité pour les services de police de tout faire pour obtenir ce qui était devenu difficile pendant l’instruction, des aveux. Les rétentions arbitraires se sont alors multipliées, vidant par là même de leur sens les dispositions de 1897 et de 1903 : en détournant la garde à vue de sa finalité première et de son caractère exceptionnel – la rétention en cas d’indisponibilité du magistrat – pour en faire un instrument privilégié d’enquête, réduisant par conséquent la marge de manœuvre du conseil n’intervenant qu’au stade de l’instruction. En effet, comment défendre habilement son client quand ce dernier a eu tout le temps nécessaire pour s’auto-accabler devant les services de police ? Cette pratique, officieuse et douteuse, de la garde à vue a pourtant été reconnue par une circulaire du ministère de l’intérieur en date du 23 septembre 1943, avant d’être validée par la Cour d’Appel de Paris en 1954 et d’être finalement officialisée dans le code de 1958. L’histoire de la garde à vue est bel et bien celle d’un déplacement sémantique : d’une simple mesure de rétention, elle est devenue non seulement un instrument privilégié pour conduire les enquêtes de police mais également un moyen de limiter le rôle de l’avocat dans les audiences pénales. Il est d’ailleurs significatif qu’il ait fallu attendre 2000 pour que le barreau puisse retrouver une quelconque place en garde à vue.

La réalité actuelle de la garde à vue

« Pour les nécessités d’une enquête, un officier de police judiciaire peut retenir une personne dans les locaux du commissariat ou de la gendarmerie (24 heures maximum), qu’il soupçonne d’avoir commis une infraction. Le procureur de la République doit être informé. C’est lui qui peut autoriser la prolongation de la garde à vue pour un nouveau délai de 24 heures maximum, soit 48 heures en tout » indique le site internet du ministère de la justice. La définition ainsi posée est imparfaite : elle ne rend compte que de manière implicite l’objectif premier de cette mesure de rétention, à savoir avancer dans le travail d’enquête. Bien entendu, détenir un suspect est par essence une mesure conservatoire. Ainsi la personne gardée à vue en étant coupée du monde pour une durée pouvant aller jusqu’à 48 heures ne dispose plus de la possibilité d’entrer en communication avec qui que ce soit. Ceci permettra aux services enquêteurs de réaliser en parallèle des perquisitions ou d’interpeller d’autres personnes qui, prévenues, auraient pu disparaître dans la nature. Néanmoins, par le biais des interrogatoires, policiers et gendarmes vont plus loin : ils vont essayer de recueillir dès ce stade de l’enquête les informations nécessaires au montage du dossier pénal. En bref, la « bonne volonté » du suspect est sollicitée et celui-ci, pour le cas où il serait coupable, est invité à s’incriminer lui-même. Une personne gardée à vue se retrouve donc face à une double angoisse : angoisse de l’isolement et de la perte – certes temporaire – de liberté mais aussi angoisse liée au travail de la machine pénale qui s’active en parallèle pour « monter » un dossier contre lui. Si le gardé à vue n’est pas dépourvu de droits, ceux-ci sont pour le moins limités : faire prévenir quelqu’un de sa famille ou son employeur, se faire examiner par un médecin qui statuera sur la compatibilité ou non de son état de santé avec la mesure de rétention et s’entretenir avec son avocat ou un avocat commis d’office. L’intervention de ce dernier est le seul moment où le gardé à vue peut discuter avec quelqu’un du sujet délicat de sa défense. La rencontre est confidentielle et peut durer jusqu’à trente minutes. Comme si la situation de la défense pénale n’était pas déjà assez délicate, l’avocat n’est informé avant l’entretien que du nom et prénom de la personne détenue, du fait qu’elle est majeure ou non et de la qualification pénale retenue à ce stade de l’enquête à l’encontre de son client. Il ne dispose d’aucun accès au dossier pénal. Dès lors en entrant dans le local affecté à l’entretien avec le gardé à vue, l’avocat n’a aucune idée de l’affaire dont ils vont devoir parler. Il n’a aucune connaissance des éléments de preuve qui accablent ou au contraire disculpent son client. Le pire étant que ce dernier peut n’avoir qu’une connaissance très partielle de ceux-ci. En bref, conseil et gardé à vue se retrouvent à spéculer sur un dossier qu’ils ne connaissent pas, ce qui n’est pas la manière la plus aisée d’échaffauder une défense efficace. N’oublions pas qu’il n’y a rien de plus ridicule qu’un suspect qui nie l’évidence : cette attitude passera invariablement pour de la mauvaise foi. De même, celui qui se drape dans son silence – ce qui est pourtant son droit le plus strict – se le verra invariablement reproché à une audience ultérieure de jugement. Mais le rôle de l’avocat, dans l’esprit des services de police, est autre : s’assurer que la garde à vue se déroule correctement. De conseil de la défense, l’avocat voit sa mission se transformer en celle de visiteur de lieu de détention, voire d’assistant social : informer le client sur ses (maigres) droits, vérifier que ceux-ci ont bien été portés à sa connaissance et recueillir toute déclaration du gardé à vue au sujet de ses conditions de détention, déclarations qu’il pourra consigner dans un mémoire qui ira abonder le dossier pénal. Implicitement on voit poindre le double problème des violences policières et de l’état des lieux de rétention. Si le second ne pose aucune difficulté, le premier est plus problématique. En premier lieu il est toujours délicat en l’absence de preuves tangibles de parler d’un quelconque comportement défectueux de la part des services enquêteurs à l’encontre des gardés à vue. En second lieu si des violences policières doivent se produire à l’occasion de la mesure de rétention, elles interviendront nécessairement après la visite de l’avocat, au moment où celui-ci ne disposera plus d’aucun moyen d’en retranscrire la dénonciation. C’est ce rôle modeste, presque étranger à la défense pénale, qu’a tenté de rendre compte Maître Charrière-Bournazel, ancien bâtonnier de Paris, en décrivant la visite de l’avocat comme « une visite de courtoisie ».

L'espoir européen

Depuis les arrêts Dayanan et Salduz de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, cette conception restrictive de la place de l’avocat en garde à vue est remise en cause. A l’origine de cette forme de querelle, l’action des avocats du Barreau de Paris et du collectif « Je ne parlerai qu’en la présence de mon avocat ». Par le biais d’actions isolées ou groupées, les conseils de France et de Navarre ont commencé à soulever in limine litis l’exception tirée de l’inconventionnalité des dispositions de l’article 63-4 du Code de Procédure Pénale. Après tout, si la jurisprudence européenne, reconnue comme étant supérieure à toute norme interne, impose qu’à tout stade de la procédure – comprenant l’enquête – le suspect ait le droit de bénéficier d’un conseil disposant de toutes ses prérogatives habituelles, pourquoi la garde à vue à la française devrait-elle se dérouler autrement ? N’oublions pas que c’est en traînant les pieds que la France a accepté d’ouvrir l’accès à la garde à vue aux conseils. Que c’est également de manière très tardive que les questions posées par les fonctionnaires de police sont apparues sur les procès-verbaux d’interrogatoire des gardés à vue. Il y a une logique dans ce système : c’est celle de l’aveu. A partir de là, tout devient possible : le gardé à vue, le plus souvent hébété par la violence de cette mesure, risque d’alourdir son cas. En commettant une autre infraction à l’encontre ou non des services enquêteurs, en se terrant dans un silence qu’on ne manquera pas de lui reprocher ou en faisant des déclarations qu’il regrettera par la suite. Le dernier cas est notamment intéressant quant à l’utilisation qui est faite de « l’aveu » : ce qui ne devrait être au mieux qu’un indice constitue pour certaines infractions la matière principale de la condamnation. Par exemple, la menace pour être punissable doit être « réitérée, matérialisée par un écrit, une image ou tout autre objet » ou « faite avec l’ordre de remplir une condition ». Ces critères sont bien entendu ignorés du grand public. Dès lors déclarer devant les services de police avoir menacé une fois ou deux un individu lors d’une altercation signifie la même chose pour un gardé à vue alors qu’au regard du droit pénal la différence est de taille. En l’absence de l’avocat aux interrogatoires de police une telle erreur est favorisée et conduira à la condamnation de personnes sur leurs propres déclarations pour des faits qui, peut-être, n’étaient pas réprimables. Ce qui est, nous en conviendrons, très regrettable. L’enjeu de la présence de l’avocat en garde à vue est considérable et c’est ce qu’a estimé la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans des décisions sanctionnant la Turquie. Au-delà du seul cas turque, la Cour a entendu donner à ces arrêts une portée de principe. Elle pose notamment le principe selon lequel « l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’intervention qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer ». La Cour de Strasbourg précise par ailleurs qu’il « est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation ». Le même arrêt nous fournit par ailleurs le fondement idéologique d’une telle interprétation des textes internationaux en rappelant qu’un « accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable [au stade de l’enquête] […] Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière ne peut être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s’incriminer lui-même ». Ces dispositions de principe ont vocation à s’appliquer sur le territoire couvert par la Cour Européenne des Droits de l’Homme et par extension à la France. Dans une récente interview donnée au journal La Croix, Jean-Paul Costa, président de cette juridiction, incite les états membres à « cesser de jouer à cache-cache avec la Convention internationale des droits de l’homme ». Jean-Paul Costa précise par ailleurs que « les États ne doivent pas attendre que des dizaines de justiciables déposent des recours à Strasbourg pour réviser leurs lois». Il était donc tout naturel que les avocats français prennent acte de l’existence de ces arrêts pour demander l’annulation des procès-verbaux d’interrogatoire réalisés en leur absence.

La bataille judiciaire française

Dans une communication en date du 15 octobre 2009, celui qui était alors bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris, Maître Charrière-Bournazel, rendait compte de l’arrêt Dayanan prononcé deux jours auparavant et fustigeait toute réforme du Code de Procédure Pénale « qui n’instituerait pas la présence de l’avocat en garde à vue dès la première minute ». Le 20 novembre 2009, le bâtonnier de Paris en appelait à « chacune et à chacun de [ses] confrères pour alerter l’opinion publique, les parlementaires et les consciences éclairées afin que soit mis immédiatement un terme à la dérive de notre justice et aux excès de certains corps de policiers ». De manière concomitante, les avocats des barreaux français ont réclamé la nullité des procès-verbaux pris en leur absence par les services de police. Quelques décisions ont donné raison à ces argumentations mais majoritairement les juridictions se sont retranchées derrière le droit interne pour rejeter ces exceptions de nullité. La Chancellerie a, en effet, dans une note en date du 17 novembre 2009 à destination des parquetiers fourni des éléments de réponse pour contrer les conclusions de nullité des avocats : seule la Turquie serait mise en cause par les arrêts Dayanan et Salduz et le régime français de la garde à vue serait parfaitement valable à partir du moment où l’avocat peut rencontrer son client pendant trente minutes. Néanmoins, anticipant l’éventuel échec de cette argumentaire, la Chancellerie ajoute qu’il « importe donc que le ministère public assoie l’accusation, comme c’est déjà le cas dans la très grande majorité des affaires, sur un faisceau d’éléments de preuve convergents, et non pas uniquement sur les déclarations des mis en cause pendant la garde à vue ». Les auteurs de ces lignes en témoignent : cet argumentaire effectivement prononcé par les ministères publics est à la fois faux et efficace. Efficace en ce qu’il convainc les juges de rejeter les exceptions de nullités soulevées, faux en ce qu’il identifie une institution (la présence de l’avocat en garde à vue) avec l’efficacité qu’elle suppose (pouvoir accéder au dossier pénal et assister le suspect lors des interrogatoires). Il s’agit – au-delà de l’ingénierie procédurale – d’un véritable bras de fer : tant qu’une réforme ne sera pas votée, toute garde à vue est susceptible d’être dépouillée d’un certain nombre d’actes d’enquête (les interrogatoires) si les nullités aboutissaient. Dès lors, il semble que la réponse à ce défi posé par la Cour Européenne des Droits de l’Homme ne puisse émaner que du pouvoir politique. En effet, si certains commissariats et gendarmeries fournissent dès à présent l’accès au dossier demandé, à notre connaissance il ne s’agit que d’une pratique minoritaire et en tout état de cause les interrogatoires de police demeurent interdits à l’avocat.

Les retombées politiques

Dès le 3 novembre 2009, des députés de la nation saisissaient par la voie de questions écrites au gouvernement le ministère de la justice et des libertés : l’interrogation, maintes fois répétées, était la même. A savoir quelles mesures le gouvernement compte-t-il prendre pour conformer la garde à vue française aux exigences européennes ? La réponse commune ne sera publiée au Journal Officiel que le 27 avril 2010 et se contentera d’une part de rappeler que la Chancellerie estime la garde à vue française conforme aux normes européennes d’autre part d’informer la représentation nationale que « le projet de réforme du code de procédure pénale répond à la volonté d’améliorer l’assistance apportée par l’avocat à la personne gardée à vue ». Il serait à cet effet envisagé d’inscrire dans le Code de Procédure Pénale qu’aucune « condamnation ne pourra être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites par un gardé à vue qui n’aurait pu bénéficier de l’assistance d’un avocat». Au-delà de cette disposition de principe, il serait envisagé que l’avocat puisse consulter au fur et à mesure de leur saisie les procès-verbaux d’interrogatoire de son client et, en cas de prolongation de la mesure de garde à vue, qu’il puisse participer aux interrogatoires de police. S’il s’agissait d’un progrès incontestable par rapport à la situation existante, une telle réforme ne serait qu’imparfaite, l’assistance de l’avocat lors des interrogatoires n’étant prévue qu’en cas de prolongation. La proposition de loi du député UMP, Manuel Aeschlimann, co-écrite avec « les avocats parisiens de l’association Je ne parlerai qu’en la présence de mon avocat », enregistrée à l’Assemblée Nationale le 21 décembre 2009 est bien plus ambitieuse. Elle prévoit, notamment, que « dès le début de la garde à vue, la personne ne peut être entendue, interrogée ou assister à tout acte d’enquête, à moins qu’elle n’y renonce expressément, qu’en présence de son avocat ou ce dernier dûment appelé. Le dossier d’enquête ou la procédure d’instruction sont mis à la disposition de l’avocat avant chaque interrogatoire, confrontation ou acte d’enquête ». Dans le même esprit, la proposition n°2295 présentée par André Vallini va jusqu’à demander en sus de cet accès la possibilité pour le gardé à vue d’être entendu immédiatement en présence de son avocat. Néanmoins cette dernière proposition a été rejetée en première lecture par l’Assemblée Nationale le 25 mars 2010…

Les enjeux de la réforme souhaitée

Si nous ignorons à l’heure actuelle le résultat à venir de cette controverse, nous pouvons tout du moins imaginer la garde à vue telle qu’elle devrait être. Avocats pénalistes, notre rôle est de mettre en œuvre pour chaque dossier, chaque affaire la stratégie la plus adéquate en fonction de la marge de manœuvre que les éléments de preuve nous permettent. Nous nous devons de vérifier, de même, la loyauté des conditions dans lesquelles les déclarations du gardé à vue ont été recueillies. Plus qu’une revendication de type corporatiste, le débat autour de la présence effective de l’avocat en garde à vue relève des libertés les plus fondamentales : celles du procès équitable. Nul n’est tenu, volontairement ou involontairement, de s’incriminer lui-même. Il est donc nécessaire d’encadrer au maximum les déclarations faites dans un contexte angoissant et toujours conflictuel, celui de la mesure de rétention policière. Il ne faut pas être, en revanche, ni dupes ni alarmistes : l’assistance réelle de l’avocat n’aura que peu d’influence sur le taux d’élucidation des enquêtes. Tout au plus cela permettra-t-il de donner plus de consistance à des aveux qui seront sincères et réfléchis. Par ailleurs, jusqu’à présent la meilleure façon de savoir ce qui se passait réellement en garde à vue était encore de l’imaginer. En effet, présent à l’occasion des interrogatoires de police et renforcé dans son rôle de conseil, l’avocat assisterait également au déroulement de la mesure dans sa réalité et non dans sa version courte et tronquée d’une demi-heure ! Ceci permettrait de « rendre vaines ces interminables joutes aux audiences sur les modalités de la garde à vue systématiquement présentées dans la bouche des avocats comme un enfer » en faisant disparaître tout risque de dérapage… Tous les intervenants à la procédure ont a gagner à ce que la réforme aille dans le sens défini par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Les seuls véritables problèmes ne sont pas idéologiques mais pratiques. Comment assurer une rémunération juste pour des conseils le plus souvent réglé au titre de l’aide juridictionnelle qui seront, par le jeu de la réforme, bien plus sollicités ? De même pour reprendre Henri Vlamynck « le temps policier n’est pas le temps judiciaire », à savoir celui de l’écrit. Comment transmettre au conseil au tout début de la procédure les actes qui ne seront saisis que plusieurs heures plus tard ? Mais aussi insurmontables que paraissent être ces questions de pure logistique, elles ne doivent pas faire oublier l’essentiel : la protection des droits et libertés de toutes et tous qui ne saurait connaître de restrictions aussi bassement matérielles. »

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