« 2h00. Le téléphone sonne : au bout du fil l’avocat coordinateur. Il vient lui-même d’être appelé par les services de l’hôtel de police de Lyon. Là-bas, un jeune homme est en garde à vue pour des faits de dégradations volontaires de biens privés. Auparavant il était en cellule de dégrisement mais ayant retrouvé ses esprits ses droits ont pu lui être notifiés. Les comprenant, il a décidé de faire prévenir sa femme, de passer un examen médical et de faire appel à l’avocat de permanence. Pour ce dernier, la soirée commence…
Au Barreau de Lyon, les avocats intervenant en garde à vue au titre des désignations d’office sont nombreux : ils sont répartis sept jours sur sept, 365 jours par an par groupes de quatre. La délinquance ne prenant jamais de vacances, le Barreau de Lyon doit assurer la permanence. Il s’agit d’un droit pour la personne gardée à vue posé par l’article 63-4 du Code de Procédure Pénale. Ce dernier impose aux services de police et de gendarmerie de prendre attache avec la permanence pénale dans l’heure, dès que la personne gardée à vue a manifesté son souhait de rencontrer un avocat, soit lors de son placement, soit à l’occasion de la prolongation de la mesure de garde à vue. Ce droit, bien connu du grand public par sa représentation dans les films et séries télévisées, ne permet pas tout néanmoins.
Le fonctionnaire de permanence à l’accueil de l’hôtel de police vérifie la carte professionnelle de l’avocat, puis prévient ses collègues que le conseil du gardé à vue est présent. Celui qui n’est, à ce stade initial de l’enquête, qu’un simple suspect est extrait de sa cellule pour être amené dans une petite pièce sobrement meublée : une table, deux bancs, tous trois rivés au sol. La porte fermée, l’entretien peut commencer. L’avocat n’a que peu de temps et tellement de choses à dire. Pourtant, ce n’est pas forcément à cela que s’attend le gardé à vue.
Le Code de Procédure Pénale fixe la durée maximale de l’entretien à trente minutes, pas une de plus. Ce dernier est confidentiel et l’avocat, tenu par son secret professionnel, ne pourra en tout état de cause révéler le moindre élément communiqué par son client aux services de polices. C’est la moindre des choses et la condition nécessaire pour que l’avocat puisse bien faire son travail. Sans cela, pas de confiance possible et sans confiance possible la défense ne peut être effective. Néanmoins, alors que les présentations viennent d’être faites, le client va déchanter.
Dans notre affaire, le client, qui prétend ne pas se souvenir des faits qui lui sont reprochés en raison de son état d’ébriété, vient de comprendre que l’avocat n’en savait pas plus. Et pour cause ! Les services de police lui ont juste indiqué le nom, le prénom du gardé à vue, le fait qu’il soit mineur, sa date de naissance et la qualification pénale provisoire des faits qui lui sont reprochés. Ni plus, ni moins. Dégradation volontaire de biens privés, cela peut recouvrir tout et rien.
L’ouverture de la possibilité au gardé à vue de s’entretenir avec l’avocat de son choix ou, à défaut, l’avocat de permanence fait suite à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. En effet, cette dernière considère de manière constante que le droit de la défense – droit fondamental s’il en est – concerne non seulement le procès en lui-même, mais également les étapes préparatoires à celui-ci : l’instruction (l’avocat y est présent depuis 1897) et la garde à vue. Cette petite révolution dans la profession semblait répondre aux doutes formulés par le Doyen Georges Vedel en 1980. Ce dernier, alors rapporteur pour le Conseil Constitutionnel de la loi Sécurité et Liberté avait émis les plus grandes réserves quant à la légitimité d’un système où le gardé à vue peut être entendu hors la présence de son avocat. Néanmoins, cette évolution de la législation n’est qu’un cache-misère : en effet, comment conseiller une défense efficace à ce stade de la procédure si le conseil ignore les éléments qui laissent suspecter que son client a commis ou tenté de commettre une infraction ? Pire même ! En laissant l’avocat en dehors des interrogatoires de police, le législateur a souhaité laisser les coudées franches aux officiers de police judiciaire dans la gestion des enquêtes préliminaires et de flagrance. Il s’agit là, peut-être de gagner du temps, mais surtout de satisfaire au dogme de l’aveu. Pourtant, nos voisins européens, à l’exception notable de la Belgique, reconnaissent tous la présence de l’avocat pendant toute la durée de la garde à vue…
L’avocat a fait son travail : il s’est informé du déroulement de la garde à vue. Les droits de son client ont été – a priori – respectés : la notification des droits a été faite, il a pu subir un examen médical à sa demande et les policiers sont restés courtois avec lui. Bien entendu, le jeune homme détenu n’est pas satisfait de sa situation : il ne comprend pas pourquoi il est là, la cellule est sale et sent l’urine et le désinfectant, il est inquiet. Son conseil ne peut presque rien faire : tout au plus déposer un mémoire qui sera annexé au dossier de l’affaire dans lequel il pourra consigner ses observations personnelles ou les éléments qui lui auront été rapportés par le client. A ce stade, ce document ne sert à rien. Mais si le parquet décide de renvoyer l’affaire devant une juridiction, l’avocat pourra se fonder sur les observations consignées pour tenter d’obtenir une nullité de procédure.
Et c’est là où le bât blesse, la mission de l’avocat en garde à vue se limite à la vérification des conditions matérielles de détention, au soutien de la personne en détresse morale et à une discussion sur les suites à prévoir pour l’affaire : abandon des poursuites, renvoi devant le Tribunal Correctionnel à date ultérieure, comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, renvoi devant un juge d’instruction ou devant la terrible chambre des comparutions immédiates… Cette visite, pour reprendre l’expression heureuse de l’ancien Bâtonnier de Paris, Maître Charrière-Bournazel, n’est rien d’autre qu’une visite « de courtoisie ». L’avocat n’y est pas réellement à sa place car personne n’a voulu la lui donner en garde à vue. Ce n’est d’ailleurs pas une situation nouvelle, bien au contraire.