"Homoparentalité(s) Du Fait à la Loi sans passer par l'ordre" - revue Prochoix

avocat lyon-homoparentalite

« Homoparentalité(s) : du fait à la loi, san

s passer par l’ordre », ProChoix n°48, juin 2009, pp. 41-56

Me Katia GUILLERMET, Me Guy NAGEL avocats à Lyon (mise à jour novembre 2009)

pour en savoir plus sur le droit de la famille

Tout semble être parti de quelques nuances stylistiques contenues dans l’avant-projet de loi de Nadine Morano relatif à « l’autorité parentale et [au] droit des tiers ». En comparant le texte tel qu’il a été présenté pour avis aux associations à l’automne et sa dernière version en date, on constate, en effet, une légère évolution dans sa rédaction. Là où la précédente mouture faisait référence au « beau-parent » et aux « père et mère », il ne s’agit plus dorénavant que de « parents ». Plus spectaculaire encore : l’exposé des motifs fait désormais mention des familles homoparentales. Il n’en suffisait pas plus pour que Christine Boutin, Ministre du Logement et également Présidente du Forum des Républicains Sociaux (FRS), s’en émeuve et monte au créneau, dénonçant, notamment, une ouverture vers l’homoparentalité. La querelle a été vive et a nécessité l’arbitrage de la Présidence de la République, en faveur de Nadine Morano. En effet, il aurait été étonnant que Nicolas Sarkozy laisse passer une telle dissension entre deux membres du gouvernement, et ce, au mépris du principe de solidarité gouvernementale. Mais au-delà de l’application du principe chevènementiste bien connu du ministre qui « ferme sa gueule ou démissionne », cette opposition à un texte qui, pourtant, n’a rien de révolutionnaire est intéressante sous plusieurs aspects. Il ne s’agit pas de se focaliser sur la personnalité de Christine Boutin mais bel et bien d’envisager la situation dans sa complexité. En effet, comme se plaisait à le rappeler Michael Pollak « en matière d’homosexualité tout est difficile » et la variété des relations unissant un enfant à un couple homosexué n’y fait pas exception. Le droit a eu à connaître de ces situations et cet avant-projet prétend apporter quelques solutions. Mais au-delà de ce texte précis, la problématique doit être élargie : il est, en effet, nécessaire que d’autres possibilités soient offertes à ces familles.

De la passion en politique

Christine Boutin est bien connue pour son opposition farouche à toute évolution en matière de droits des homosexuels. Nous pourrions reprendre son cheminement intellectuel, rappeler sa proximité avec de nombreuses associations anti IVG, détailler son combat contre le PaCS ou plus récemment pour une définition plus précise du mariage dans le Code Civil. Néanmoins, serait-ce bien suffisant pour comprendre sa position ? Nous ne souhaitons pas, ici, faire Œuvre de biographe. S’il est significatif de considérer cette lutte incessante contre le couple homosexué et la famille homoparentale, le faire ne suffit pas à disqualifier la position de Christine Boutin. Pour prendre un exemple plus parlant, les conditions d’une découverte n’intéressent que l’histoire ou la philosophie des sciences et non la science en elle-même. Si le mobile peut permettre de comprendre le crime, il n’est pas de nature à le constituer ni à l’excuser. La présidente du FRS peut tout à fait avoir des motivations irrationnelles et formuler des arguments sensés. Les deux ne sont pas incompatibles et la réciproque est également juste. Par ailleurs, ce bel excès de passion, confinant, semble-t-il, parfois à l’obsession, s’il peut prêter à sourire, n’en est pas moins respectable. Il nous faut considérer, au-delà du caractère apparemment scandaleux de cette proposition, les combats non moins acharnés d’autres membres ou anciens membres de la représentation nationale : Philippe Séguin au sujet de l’abolition de la peine de mort ou, plus proches de nos préoccupations, Jean-Pierre Michel ou Patrick Bloche en matière de droits des personnes à pratiques homosexuelles, n’ont-ils pas inlassablement poursuivi leur lutte ? Et ce, parfois, sous les railleries et les quolibets de leurs camarades du Palais Bourbon ou du Luxembourg ! La constance en matière politique est chose respectable et le fait que nous partagions les positions ou non d’un homme politique n’est pas un élément de nature à amoindrir ou à renforcer la légitimité de cette même position. Mais la passion doit-elle être la seule boussole de l’action parlementaire ? Toutes les références culturelles peuvent-elles être prises en compte lors de l’édiction d’une proposition de loi ? Nous serions tentés de répondre par l’affirmative à cette seconde question tout en opérant une nuance. En tant que représentant de la Nation, le député ou le sénateur se doit d’orienter ses dits et actes en fonction de l’idéal républicain : universaliste, égalitaire, laïc. A ce titre, le Lévitique ne peut et ne doit pas être l’horizon indépassable d’un homme politique. Les croyances personnelles et intimes d’un parlementaire ou d’un ministre sont respectables au titre de la liberté de pensée mais celles-ci ne doivent pas être un frein à l’action publique. Si elles sont incompatibles avec les principes mêmes de la République, elles doivent être reléguées à leur place légitime : la sphère privée. Il en va de la bonne gestion des affaires de l’État. Christine Boutin a ses convictions, c’est son droit. Elle prétend conduire son action dans le respect de celles-ci, c’est son choix et dans la mesure où celui-ci s’exerce conformément à la fonction dont elle a été investie, nul ne pourra lui en faire grief. Ainsi, il convient de juger de ses dernières prises de position d’une manière dépassionnée, presque désincarnée. En examinant dans un premier temps l’objet de son opposition, à savoir la famille homoparentale, avant de nous prononcer sur l’effet du texte incriminé sur la promotion de ce modèle. Et seulement, à ce moment-là, pourrons-nous envisager la critique des propos de Christine Boutin.

La famille homoparentale est plurielle

Regroupées par un trait de plume sous un même vocable, les familles homoparentales ne sont pas une et unique. Nous ne prétendons pas à l’exhaustivité dans ce développement. Il s’agit uniquement de déterminer les points caractéristiques des grandes catégories de familles concernées par la question de l’homoparentalité. Une double dichotomie peut servir à notre classification : d’une part organisée en fonction de la mise en concurrence ou non du social et du biologique, d’autre part en fonction de la préexistence ou non d’un projet homoparental à la naissance de l’enfant.

Aucun de ces schémas n’a, à l’heure actuelle, de reconnaissance légale. S’agissant des configurations portant concurrence du biologique sur le social, l’enfant est considéré, quand les deux filiations ont été reconnues, comme ayant un père et une mère (ses parents biologiques), les « beaux-parents » n’étant au regard de la loi que de simples tiers. Autant dans le cas de l’enfant né d’une précédente union hétérosexuée, cela peut se comprendre, autant la coparentalité qui implique quatre personnes (le père et la mère biologique, ainsi que leur compagnon) est un véritable projet homoparental. Le père et la mère sociaux ont voulu l’enfant au même titre que ses géniteurs. Ils entendent, à ce titre, participer à son éducation et à son bien-être. Pour autant le droit français en vertu du principe de la filiation double ne consent pas à leur octroyer le moindre statut. Le cas des filiations n’emportant pas concurrence entre le biologique et le social est également problématique. D’une part, parce que si l’adoption plénière d’un enfant abandonné est possible pour une personne à pratiques homosexuelles (l’agrément du président du conseil général ne peut être refusé pour ce motif), elle ne peut être faite qu’au nom d’un individu et non du couple s’il n’est marié : à ce titre, les partenaires homosexués, même pacsés, ne peuvent prétendre adopter un enfant. Le compagnon de l’adoptant ne disposera dès lors d’aucune reconnaissance légale envers l’enfant. Pire même ! Dans le cas des procréations médicalement assistées et notamment des inséminations artificielles possibles à l’étranger, alors même que l’enfant est né d’une volonté commune de la part d’un couple de s’en occuper, le droit ne reconnaît que le parent biologique. A partir de ce rapide constat, nous voyons poindre une double revendication : reconnaissance d’un statut légal pour le beau-parent au sens large, ouverture d’une filiation double pour les couples homosexués. Après tout, quelle que puisse être la position d’une personne sur la question homoparentale, force est de constater que ces familles existent, comme le rappelle l’exposé des motifs du projet de Nadine Morano, et que l’état du droit n’est pas adapté à celles-ci. Cette constatation permet d’ailleurs de renverser l’argument du bien-être et de l’intérêt supérieur de l’enfant, si souvent invoqué par les opposants à la reconnaissance de la famille homoparentale, à l’instar de Christine Boutin. Étant donné que ces configurations familiales existent et qu’aucun texte ne peut empêcher à ce fait social d’être, la question de la résolution du complexe d’Œdipe ou de la nocivité de ces environnements sociaux n’a pas à se poser. En premier lieu parce que ces objections sont fondées sur des motifs inopérants, comme la psychanalyse, la religion ou – pire encore – l’invocation d’un principe de précaution qui n’est, de fait, qu’un appel à un maintien perpétuel des situations antérieures. En second lieu, car il est nécessaire de faciliter la vie de ces familles. Disons-le plus clairement : soit nous acceptons d’accorder une certaine forme de reconnaissance à ces filiations inédites en permettant, par exemple, en cas de décès de la mère biologique, que la mère sociale puisse continuer à s’occuper de l’enfant ; soit nous considérons que l’enfant est mis en danger par l’homoparentalité et nous interdisons purement et simplement ces configurations en plaçant les enfants concernés en foyer. Le fait que cette dernière position, à notre connaissance, ne soit revendiquée par personne témoigne bien de la profonde absurdité du système : d’un côté, comme on peut souvent le lire dans les décisions de justice, il est reconnu à la personne à pratiques homosexuelles des «qualités humaines et éducatives certaines », d’un autre on souligne le caractère déstabilisant de tels contextes sur la psyché de l’enfant.

L'état du droit : de Kafka à Ubu

La famille homoparentale, si elle n’est régie par aucun texte, est tout de même à l’origine de quelques décisions de jurisprudence, traitant essentiellement des questions d’adoption et de délégation de l’autorité parentale. Nous l’avons vu, un parent social aura le plus grand mal du monde à se faire reconnaître au regard de la loi. Soit parce qu’il existe un autre parent biologique (cas de l’enfant issu d’une précédente union ou, plus problématique, cas de la coparentalité), soit en raison d’une certaine forme de conservatisme de la part des juridictions. Notre sujet, au regard de l’homoparentalité, se limitera volontairement aux cas où il n’y a pas de concurrence biologique. Pour le dire autrement, les cas où la filiation de l’autre sexe n’est pas et ne peut être établie : soit parce que l’enfant a été adopté et ses géniteurs sont inconnus ou déchus de leurs droits, soit parce que l’enfant est issu d’une procréation médicalement assistée, le géniteur n’intervenant que via le don du sperme. L’absurdité et l’injustice atteignent ici un paroxysme presque kafkaïen : devant l’impossibilité absolue d’établir une autre filiation, face à une figure du père ou de la mère qui sera nécessairement absente, il serait de la logique élémentaire de reconnaître au parent social un statut juridique. A fortiori, quand l’enfant est né d’un projet parental commun. Pour asseoir juridiquement ces configurations (adoption plénière d’un enfant abandonné, procréation médicalement assistée), le parent social pouvait recourir soit à l’adoption simple, soit à la délégation d’autorité parentale et, le plus souvent, aux deux. En effet, absurdité profonde du système, l’adoption simple emporte déchéance de l’autorité parentale du parent biologique au profit de l’adoptant si le couple n’est pas marié. Les statuts de concubins et de copacsés n’entraînent pas l’application de cette disposition, en raison, nous imaginons, de leur caractère théoriquement plus précaire. Le mariage homosexué pourrait remédier à cette situation mais le Gouvernement n’a pas orienté son action en ce sens. Pour pallier le caractère profondément ubuesque de cette difficulté (la mère sociale devenant seule titulaire de l’autorité parentale alors même que la mère biologique entend non seulement continuer à s’occuper de l’enfant mais également poursuivre la communauté de vie avec sa compagne), quelques juridictions avaient accepté de procéder à une délégation d’autorité parentale partielle (possible depuis 2002 mais sous la double réserve que l’intérêt de l’enfant et les circonstances l’exigent). Il s’agissait ici de rétablir l’équilibre. L’adoptante transférant par une procédure sur requête (avec un pouvoir d’appréciation souverain du juge du fond) une partie de l’autorité parentale à la mère biologique qui s’en était dépossédée en consentant à l’adoption simple. Ce montage complexe, contre-intuitif, et somme toute un peu grotesque, était pourtant la seule possibilité d’établir une double filiation dans le cadre d’un couple homosexué qui, rappelons-le, se comporte dans les faits comme les parents de l’enfant. Néanmoins, un coup d’arrêt a été mis à ces jurisprudences : la Cour de Cassation a refusé l’adoption simple du fils de la mère biologique par sa compagne. La Cour d’Appel avait pourtant, dans cette espèce, rendu une décision nuancée, considérant que la déchéance de l’autorité parentale au détriment de la mère biologique ne nuirait pas à l’enfant, la sollicitation d’un partage ou d’une délégation d’autorité parentale étant toujours possible. Mais la juridiction suprême a jugé « antinomique et contradictoire » l’usage de la délégation d’autorité parentale en combinaison avec l’adoption simple qui a « pour but de conférer l’autorité au seul adoptant ». Le problème étant, et d’un point de vue strictement légaliste la position de la Cour de Cassation se justifie, que l’adoption simple suivie de la délégation d’autorité parentale constitue un détournement de procédure. Il est à relever que la situation aurait pu être différente si le couple homosexué avait pu bénéficier de l’application de l’exception prévue au bénéfice des couples mariés par l’article 365 du Code Civil. Il serait dans cette logique là nécessaire d’aligner la situation de l’enfant adopté par le concubin ou le copacsé du parent biologique sur celle de l’enfant adopté par le conjoint du parent. En revanche, en théorie, rien ne s’oppose à ce que le parent social puisse bénéficier d’un partage de l’autorité parentale via une délégation consentie par le parent à l’égard duquel la filiation est reconnue. Un problème demeure toutefois : tant la notion d’intérêt de l’enfant, bien connue du droit de la famille, que le fait de savoir si la délégation est nécessaire au regard des circonstances sont des éléments qui relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond. Il sera donc possible pour un juge aux affaires familiales, amené à connaître d’une telle affaire, de rejeter la requête au motif que l’intérêt de l’enfant n’est pas respecté ou que les circonstances n’exigent pas la mise en place de la délégation. Ce dernier fondement est le plus souvent invoqué dans les motifs de rejet des requêtes, à l’instar de la décision de la Cour d’Appel de Douai, rendue le 11 décembre dernier, refusant une délégation d’autorité parentale croisée (chacune des deux femmes du couple en question était parent social de l’enfant de l’autre).

Ce qui change, ce qui demeure

Il convient d’exposer les choses clairement. Cet avant-projet n’est pas la révolution copernicienne du droit des familles homoparentales mais tout au plus un simple aménagement de l’existant, accompagné de quelques avancées significatives. En premier lieu, cette réforme ne concerne que l’autorité parentale et non l’adoption ou la filiation : à ce titre, elle n’est pas de nature à ouvrir au bénéfice du parent social un quelconque droit à faire établir une filiation à l’égard de l’enfant de son partenaire. Ensuite, la procédure de délégation d’autorité parentale pourrait, si le texte était adopté en l’état, se faire par le biais de l’homologation par le juge aux affaires familiales d’une convention passée entre le parent social et le biologique. Le système actuel nécessite, quant à lui, l’utilisation d’une procédure sur requête. Au-delà du simple changement procédural, le juge n’en demeure pas moins souverain pour accepter ou refuser la délégation, au regard de « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Il est à noter, et c’est heureux, qu’il semble qu’il n’y ait plus besoin que les circonstances exigent la mise en place de la délégation pour que celle-ci soit prononcée. La logique du texte étant de faciliter la vie des familles homoparentales et recomposées, le contraire aurait été surprenant. De plus, au regard de la motivation des dernières décisions de rejet, la disparition de ce critère pourrait, si elle était entérinée par la représentation nationale, être salutaire. Enfin, de manière très symbolique, et sous l’influence de certaines associations, et notamment de l’APGL, l’exposé des motifs mentionne le cas des familles homoparentales : cette reconnaissance de principe est un premier pas. Après tout, elle implique que le projet de loi concerne également les familles homoparentales. Aucun juge aux affaires familiales ne pourra dès lors invoquer le détournement de la loi pour rejeter une demande liée à l’autorité parentale. Et il est à parier que si une telle chose arrivait, les demandeurs à la délégation pourraient tirer argument de cet « exposé des motifs » pour solliciter une réformation de la décision. On peut même, considérer, à l’instar des membres du courant de l’UMP, GayLib, que ce texte participe à une meilleure sécurité juridique, en rendant plus compréhensible le champ d’application de la délégation d’autorité parentale. Enfin, le projet, toujours sous l’influence des associations, fait plus volontiers référence aux parents qu’aux père et mère ou beaux-parents, termes sexuellement et conjugalement connotés. Rien ne s’oppose donc, et bien au contraire, à ce que la famille homoparentale puisse bénéficier de ces dispositions ! C’est d’ailleurs la vertu principale d’un texte faisant partie des propositions de campagne de Nicolas Sarkozy qui, rappelons-le, souhaitait « reconnaître la sincérité de l’amour homosexuel ». Soit. Mais tout ceci semble un peu court tout de même… Si nous voulons reconnaître sincèrement l’amour homosexuel (qui peut être, au cas par cas, sincère ou non, tout comme l’amour hétérosexuel), il conviendrait plutôt d’envisager, et non de simplement promettre, a minima une union civile garantissant les mêmes droits que le mariage (filiation et adoption comprises), et dans l’idéal, la possibilité pour les couples homosexués de se marier (au nom de la logique universaliste). A ce titre, à l’occasion des traditionnelles questions au Gouvernement, le député Jean-Paul Bacquet rappelait à Nadine Morano que des propositions de lois avaient été faites en matière d’homoparentalité et, qu’à ce jour, elles n’avaient toujours pas été examinées… La proposition n°585 est particulièrement intéressante : ouvrant le droit à l’adoption au bénéfice du couple homosexué, elle opère également la réforme nécessaire de l’article 365 du Code Civil en alignant le statut de la personne qui adopte l’enfant de son concubin ou de son copacsé sur celui de l’adoptant de l’enfant du conjoint : l’adoption simple, dans cette proposition, de l’enfant de son partenaire de vie au sens large n’emporterait plus déchéance de l’autorité parentale du père ou de la mère biologique. Nous sommes bien loin de l’avant-projet de Nadine Morano. Alors quelle est la raison du courroux de Christine Boutin ?

Une véritable théorie du containment

La couleur est annoncée sans ambages : « le fait de reconnaître le statut du beau-parent risque de mener à la reconnaissance objective de l’homoparentalité et de l’adoption par les couples homosexuels ». L’argument n’est pas nouveau : déjà en mai 1998, Christine Boutin écrivait « la reconnaissance de l’union civile représente donc, clairement, dans l’esprit des militants, le cheval de Troie par lequel pourra être ensuite revendiqué, pour deux homosexuels le droit à l’adoption et à la filiation ». L’argument est également banal chez d’autres hommes politiques engagés contre toute reconnaissance d’un quelconque statut pour les personnes à pratiques homosexuelles, à l’instar de Christian Vanneste notamment. Si l’on suit le raisonnement de Christine Boutin, nous nous retrouvons pris dans une véritable théorie des dominos : la moindre avancée entraînera la chute complète de l’édifice. A-t-elle foncièrement tort sur ce point ? Peut-on avancer vers un mariage homosexué sans « risquer » d’accorder à ces couples les mêmes droits que ceux des époux en matière de filiation et d’adoption ? La promesse de campagne de Nicolas Sarkozy semblait indiquer le contraire en précisant que l’union civile qu’il projette serait sans incidence sur la filiation et l’adoption. A l’inverse, Luc Ferry, envisage une ouverture des droits en matière de filiation sans que ce soit un préalable ni un corollaire du mariage gay, et ce, au nom de l’intérêt de l’enfant. Résumons : d’un côté nous avons une opposition farouche à l’adoption et à la filiation au bénéfice des familles homoparentales, de l’autre -nous avons justement ces mêmes familles homoparentales qui existent et qui attendent… Est-il légitime au nom d’un prétendu principe de précaution, dont nous avons pu déjà mentionner la faiblesse de sa consistance, de placer l’enfant dans une situation où il n’a aucun lien avec l’une des deux personnes qui l’élèvent, qui se comporte comme un père ou une mère à son égard, qu’il reconnaît comme faisant partie de sa famille sous le seul prétexte… qu’il est de même sexe que son parent biologique ? Il est presque superfétatoire d’énumérer la liste des problèmes quotidiens (par rapport à l’école et aux autres institutions par exemple) comme exceptionnels (en cas de séparation du couple, en cas de décès ou de disparition du parent biologique) qu’une telle absence de reconnaissance peut créer. A partir du moment où, en quelque sorte, le parent social a une possession d’état vis-à-vis de l’enfant de son partenaire, la filiation devrait pouvoir être reconnue. A fortiori, la délégation d’autorité parentale doit être facilitée. C’est ce que propose, justement le projet de Nadine Morano. L’opposition de Christine Boutin ne peut être, dès lors, entendue qu’en tant qu’opposition de principe. En bref : ne faisons rien, figeons la situation dans le statu quo ante, faute de quoi l’ordre symbolique sera mis en péril. Malheureusement si les références à ce dernier ne manquent pas, ses fondements sont toujours aussi obscurs : religion, psychanalyse, bon sens populaire… Or pour fonder une distinction dans le traitement d’une situation quelconque, encore faut-il avoir un fondement et que ce même fondement soit légitimé au regard d’un intérêt social. De plus, la charge de la preuve doit toujours être inversée : ce n’est pas à celui qui se prétend victime d’une discrimination de prouver le caractère infondé de celle-ci mais bel et bien à l’auteur de la distinction de démontrer son utilité au regard de l’intérêt social. Pour reprendre le raisonnement utilitariste classique, l’homoparentalité est-elle dangereuse ou indifférente ? Ce dernier critère ne présente aucune équivoque : revendiquée par les couples homosexués, au nom du « désir naturel de donner la vie », l’homoparentalité, de plus, existe ! Les statistiques de l’INED mentionnées dans l’avant-projet de Nadine Morano sont là pour en témoigner… Quant à savoir si elle est dangereuse pour la société ou les individus, la question est presque dépourvue d’intérêt. Nous pourrions, là encore, brandir les études scientifiques (certes critiquées) sur le sujet. Mais nous préférons attendre les études contraires, les preuves de la nocivité de l’homoparentalité sur le tissu social ou sur la résolution du complexe d’Œdipe de l’enfant, les éléments démontrant que « l’enfant et l’amour humain [sont] en danger » ou que cela validerait « comme modèle social des situations qui apparaissent comme des accidents ou des échecs ». Nous ne résistons pas à la tentation de reprendre une « argumentation » que Christine Boutin avait tenu en 1998 et qu’elle introduisait de la manière suivante : « et puis enfin, il ne faut pas se voiler la face [sic]. L’âge de la majorité sexuelle étant de 15 ans en France, où placera-t-on la frontière, pour un enfant adopté, entre l’homosexualité et la pédophilie ? ». La suite du texte est tout aussi consternante : Christine Boutin évoque l’affaire Dutroux puis s’interroge sur les moyens de protéger « les adolescents […] contre l’influence d’hommes ou de femmes dont on sait que l’attirance pour les mineurs est fréquente », avant de citer un jugement correctionnel et de conclure… au principe de précaution ! Nous ne mettons pas en doute la possibilité que Christine Boutin puisse ne plus être en phase avec ces mêmes propos. En revanche, si les preuves que nous réclamons sont du même type, nous préférerions ne pas avoir à les subir…

L'amour est universel

« Nous n’avons pas le droit d’interdire quoi que ce soit à qui que ce soit sans qu’il y ait une bonne raison pour le faire, c’est-à-dire une raison qui ne vaille pas simplement pour moi, à titre d’option personnelle, mais qui puisse et doive valoir aussi pour les autres ». Cette phrase de Luc Ferry résume bien l’absurdité du positionnement de la Présidente du FRS :  au fond tout débat avec Christine Boutin semble irrémédiablement condamné par avance. À partir du moment où l’on utilise la religion ou l’un de ses dérivés (comme la psychanalyse) comme horizon indépassable, il paraît difficile de se laisser convaincre par une quelconque argumentation, voire des études scientifiques. C’est aussi cela, la démocratie : le droit de ne pas être d’accord. Mais il est toujours inquiétant de découvrir qu’une ministre accorde, dans ses prises publiques de position, autant de valeur à des arguments de pure autorité. Faute de fondement, la discrimination doit tomber, sans que l’invocation du principe de précaution ne puisse rien y faire. Après tout, demande-t-on des certificats de bons parents aux couples hétérosexués ? Pourquoi tout devrait-il être plus difficile pour les personnes à pratiques homosexuelles ? Il y a, par ailleurs, un certain paradoxe chez Christine Boutin à leur reconnaître le droit à la dignité et au respect (et à le rappeler à l’envi) tout en prônant une politique différentielle des droits à leur encontre. En effet, si l’homosexualité n’est pas une maladie (position de l’OMS depuis 1990), ni un délit mais une façon comme une autre de vivre sa sexualité, si l’amour entre garçons ou entre filles est sincère, pour reprendre le terme de Nicolas Sarkozy, comment pouvons-nous encore opérer une distinction juridique entre les couples hétéro et homosexués ? Au nom de l’union nécessaire de l’homme et de la femme pour donner la vie ? A l’heure où la procréation peut être dissociée de la sexualité, tout comme cette dernière l’est de la procréation, cet argument est inconsistant et donne une image navrante de toute sexualité : en 2009, se marier est un acte d’amour, adopter ou donner la vie, une volonté de s’occuper d’un enfant. Et pour cela comme pour beaucoup d’autres choses, un couple homosexué n’est pas plus intrinsèquement inapte qu’un autre.

 

« Homoparentalité(s) : du fait à la loi, sans passer par l’ordre », ProChoix n°48, juin 2009, pp. 41-56