La loi du 16 novembre 2001 a proscrit les discriminations dans les relations de travail. En effet l’article L.1132-1 du Code du Travail dispose notamment qu’aucune « personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte […] en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle […] ». La jurisprudence a suivi cette évolution en sanctionnant les attitudes homophobes dans la sphère du travail. Ainsi un employeur commet une faute en tenant des propos à caractère homophobe envers un salarié, justifiant par là même la rupture du contrat à ses torts exclusifs. Dans la même veine, la Cour d’Appel de Grenoble a estimé que les propos à caractère homophobe prononcés par un salarié envers un collègue de travail sont constitutifs d’un fait de harcèlement moral. La judiciarisation de la lutte contre l’homophobie s’étend, par ailleurs, à d’autres branches du droit. Ainsi depuis 2001, le Code Pénal énonce dans ses articles 225-1 et suivants la définition de la discrimination ainsi que les peines applicables à ce délit. Il est à noter que le délit de discrimination ne peut être amnistié. Poursuivant cette œuvre, la loi du 18 mars 2003 ajoute au nombre des circonstances aggravantes de certaines infractions le fait que l’auteur de l’infraction l’ait commise à raison de l’orientation sexuelle de la victime. Ce mobile homophobe doit être matérialisé par un ou plusieurs éléments objectifs : « propos, écrits, utilisation d’images ou d’objets ou actes de toute nature portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de leur orientation sexuelle vraie ou supposée ». Il est à noter qu’a contrario, les propos homophobes tenus à l’occasion d’une agression pour un motif non fondé sur l’orientation sexuelle n’aggraveront pas le délit de violences. On relèvera que la circonstance aggravante est constituée que la victime soit homosexuelle ou non, dès lors que l’auteur de l’infraction a agi en croyant qu’elle l’était, ce qui confère à ces dispositions une dimension universaliste. Le délit de violence ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente est, quant à lui, criminalisé par l’effet de la circonstance aggravante. Enfin, une loi pénale spéciale relative au droit de la presse est venue parachever cette évolution en réprimant les propos injurieux ou diffamants, s’agissant de l’orientation sexuelle des personnes. C’est cette dernière loi et son avenir qui semblent aujourd’hui remis en question par le dénouement de la très médiatique affaire Vanneste.
L’arrêt Vanneste : une illustration des limites et usages de la loi de 2004
La cassation sans renvoi de l’arrêt d’appel par la juridiction suprême a fait couler bien de l’encre. Beaucoup ont vu en cela le signe d’un arrêt de principe, d’une décision qui apporterait réellement à l’ordre juridique, qui ferait évoluer la jurisprudence… C’était sans compter les nombreuses particularités qui émaillent le droit de la presse, faisant de cette branche du droit un corpus de textes à la fois anachroniques et dérogatoires. En effet, l’ambivalence de ce droit réside dans le principe « que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ». S’attaquer au principe phare, à la liberté par excellence, qu’est la liberté d’expression, ne peut se faire qu’au moyen de nombreux gardes fous et pour des raisons toutes légitimes. Ainsi l’ouvrage étant de taille et le risque de tomber dans la censure pure et simple élevé, la procédure est complexe et semée d’embûches. Sans vouloir détailler plus en avant la technicité juridique liée à ce type de contentieux, disons seulement que le simple fait d’introduire une action en diffamation ou en injure publique ou non publique est un véritable parcours du combattant : délais très courts pour citer (3 mois à compter de la publication des faits), nécessité de qualifier exactement l’infraction (une injure n’est pas une diffamation et vice versa), de viser le texte (l’article exact de la loi de 1881 sur la liberté de presse par exemple), … L’objectif est simple : la liberté d’expression est le principe, la poursuite pénale l’exception. Cette dernière ne pourra aboutir que si l’expression de l’un atteinte à l’honneur ou à la considération de l’autre. Ce qui n’est pas nécessairement une mince affaire. Il s’agit également de décourager, à notre sens, les procéduriers nés : en rendant obligatoire la consignation d’une somme environnant les 2.000 € (comme provision en cas de procédure abusive ou de dénonciation calomnieuse), l’ordre juridique français achève de protéger le droit de tout un chacun de s’exprimer comme bon lui semble. Néanmoins, le législateur français considère que tous les types d’injures ou de diffamations ne se valent pas. Pendant longtemps, les propos à caractère racistes ont été les seuls à bénéficier d’un traitement aggravé : délai rallongé (un an pour agir), peines plus lourdes… La loi de 2004 a étendu partiellement, la prescription de l’action demeurant celle de 3 mois, la portée de ce traitement aux propos injurieux ou diffamatoires fondés sur le sexe de la personne, sur son état d’aptitude physique ou sur son orientation sexuelle. Le but premier était de lutter contre le sexisme, l’handiphobie et l’homophobie. A ce titre, si les deux premiers ne semblaient pas déranger outre mesure Christian Vanneste, tel n’est pas le cas du dernier : à l’occasion du dépôt d’un amendement tendant à retirer le critère de l’orientation sexuelle du projet de loi, le député de Tourcoing a parlé notamment de l’homosexualité comme d’un danger pour l’humanité. Ces paroles étant couvertes par l’immunité parlementaire (comme le sont, celles, autrement plus choquantes prononcées par Gérard Longuet en juillet dernier), l’affaire aurait pu en rester là. Néanmoins, Christian Vanneste en expliquant ces mêmes propos dans deux journaux a pu être poursuivi. Contrairement à ce qui a été écrit et dit, l’arrêt de cassation n’amoindrit pas le pouvoir de la loi de 2004. Si on peut difficilement s’en féliciter, il convient néanmoins de ne pas adopter une approche trop alarmiste : l’injure directe, celle qui relève de l’invective lambda, de la bêtise la plus pure, en bref de l’homophobie de fin de repas, celle qui a pollué jusqu’à notre langage courant, pourra toujours être poursuivie, à condition, bien entendu, que la personne objet de l’injure ou de la diffamation se lance dans la procédure laborieuse édictée par le droit de la presse… Après tout, il faut le dire, il faut l’écrire : le droit de la presse protège la liberté d’expression mieux que la dignité de la personne. Plus inquiétant, en revanche, est le fait qu’une juridiction française, a fortiori la Cour de Cassation, ne trouve rien à redire aux propos de Christian Vanneste. C’est en ce sens que cet arrêt pose une limitation à la mise en œuvre de la loi de 2004 : sous couvert de réflexions relevant d’une philosophie toute personnelle voire partisane, il semble dorénavant possible d’exprimer des opinions de nature à heurter la sensibilité des personnes pour reprendre l’euphémisme de la Cour de Cassation. Par ailleurs, l’autre risque est que, suivant l’exemple de Christian Vanneste, il y ait une recrudescence de propos haineux et ouvertement homophobes. Si ceux-ci rentreraient clairement dans les dispositions de la loi de 2004, on ne peut se réjouir de l’idée même qu’ils puissent survenir, nonobstant les condamnations qu’encourraient leurs auteurs. En revanche, l’arrêt de cassation de novembre n’est pas un blanc-seing pour autant. La pertinence du propos n’a pas été analysée. Juste son caractère illicite. Si un laisser-dire a été signé, c’est au nom, également, de la liberté de dire à peu près tout et n’importe quoi…