"Au-delà de l'homophobie : La pyramide des valeurs" - revue Prochoix

avocat Lyon homophobie

« Au-delà de l’homophobie : la pyramide des valeurs », ProChoix n°46, décembre 2008, pp. 79-94

Me Katia GUILLERMET, Me Guy NAGEL avocats à Lyon (mise à jour décembre 2008)

Pour en savoir plus sur le droit pénal

La Cour de Cassation a tranché : les propos tenus par le député de la 10ème circonscription du Nord, Christian Vanneste, dans la Voix du Nord et dans Nord Éclair, ne seront pas condamnés au titre de la loi du 30 décembre 2004 visant à réprimer les propos injurieux ou diffamants s’agissant, notamment, de l’orientation sexuelle des personnes. En l’espèce, Christian Vanneste avait explicité, pour ces publications, des propos qu’il avait tenus lors des débats devant l’Assemblée Nationale (et donc couverts par l’immunité parlementaire) relatifs à cette même loi. Il avait notamment déclaré en substance que l’homosexualité est moralement inférieure à l’hétérosexualité. Diverses associations (SOS Homophobie, Act Up-Paris et le SNEG) avaient alors introduit une procédure fondée sur cette même loi en faisant citer à comparaître Christian Vanneste. Ce dernier avait été condamné en première instance puis en appel par les juridictions pénales. A l’issue du pourvoi en cassation, la juridiction suprême a néanmoins considéré que les propos en cause relevaient de la liberté d’expression et qu’ils n’avaient pas dépassé les limites autorisées par la bienséance. S’il a été jugé que de tels dires pouvaient « heurter la sensibilité de certaines personnes », la Cour de Cassation n’a pas retenue la qualification pénale. La saisine de la Cour Européenne des Droits de l’Homme est actuellement à l’étude et des manifestations ont été organisées à l’appel, notamment, d’Act Up-Paris et de Tjenbé Red. Mais au fond, le débat dépasse la simple affaire Vanneste. En effet, ce dernier semble se considérer via son blog et les diverses interviews qu’il a pu donner, suite à l’arrêt de novembre dernier, comme un apôtre de la liberté d’expression. Parlant du lobby gay, Christian Vanneste en appelle à « inverser le processus : dénoncer [ses] mensonges, [ses] manipulations, [son] aspect anti-démocratique, [son] opposition aux valeurs les plus sympathiques aux yeux de la majorité : les enfants, la famille, le respect de la nature… ». Le député de Tourcoing va jusqu’à préciser qu’on « veut faire taire tous ceux qui proclament un certain nombre d’idées favorables à la liberté d’expression », d’où l’importance symbolique de sa victoire… Par ailleurs, il poursuit sa croisade contre toute extension des droits des personnes à pratiques homosexuelles, et ce, au nom des valeurs de la République et notamment de son indivisibilité : pour faire plus simple, disons-le, au nom du rejet de toute forme de communautarisme. A notre sens, de graves confusions émaillent ces propos. En premier lieu l’arrêt Vanneste, qu’il faudra replacer à sa juste valeur, n’est nullement une remise en cause de la loi de 2004. En deuxième lieu, les droits des gays n’ont pas grand-chose à faire avec le communautarisme, bien au contraire. Enfin, au-delà de ce cas d’espèce et de la poursuite de la simple diffamation ou injure, une injustice plus grande demeure : notre Code Civil n’organiserait-il pas, lui-même, une certaine forme de discrimination à l’encontre des personnes à pratiques homosexuelles ?

Homophobie, discrimination fondée sur l’orientation sexuelle : quelles sanctions ?

La loi du 16 novembre 2001 a proscrit les discriminations dans les relations de travail. En effet l’article L.1132-1 du Code du Travail dispose notamment qu’aucune « personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte […] en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle […] ». La jurisprudence a suivi cette évolution en sanctionnant les attitudes homophobes dans la sphère du travail. Ainsi un employeur commet une faute en tenant des propos à caractère homophobe envers un salarié, justifiant par là même la rupture du contrat à ses torts exclusifs. Dans la même veine, la Cour d’Appel de Grenoble a estimé que les propos à caractère homophobe prononcés par un salarié envers un collègue de travail sont constitutifs d’un fait de harcèlement moral. La judiciarisation de la lutte contre l’homophobie s’étend, par ailleurs, à d’autres branches du droit. Ainsi depuis 2001, le Code Pénal énonce dans ses articles 225-1 et suivants la définition de la discrimination ainsi que les peines applicables à ce délit. Il est à noter que le délit de discrimination ne peut être amnistié. Poursuivant cette œuvre, la loi du 18 mars 2003 ajoute au nombre des circonstances aggravantes de certaines infractions le fait que l’auteur de l’infraction l’ait commise à raison de l’orientation sexuelle de la victime. Ce mobile homophobe doit être matérialisé par un ou plusieurs éléments objectifs : « propos, écrits, utilisation d’images ou d’objets ou actes de toute nature portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de leur orientation sexuelle vraie ou supposée ». Il est à noter qu’a contrario, les propos homophobes tenus à l’occasion d’une agression pour un motif non fondé sur l’orientation sexuelle n’aggraveront pas le délit de violences. On relèvera que la circonstance aggravante est constituée que la victime soit homosexuelle ou non, dès lors que l’auteur de l’infraction a agi en croyant qu’elle l’était, ce qui confère à ces dispositions une dimension universaliste. Le délit de violence ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente est, quant à lui, criminalisé par l’effet de la circonstance aggravante. Enfin, une loi pénale spéciale relative au droit de la presse est venue parachever cette évolution en réprimant les propos injurieux ou diffamants, s’agissant de l’orientation sexuelle des personnes. C’est cette dernière loi et son avenir qui semblent aujourd’hui remis en question par le dénouement de la très médiatique affaire Vanneste.

L’arrêt Vanneste : une illustration des limites et usages de la loi de 2004

La cassation sans renvoi de l’arrêt d’appel par la juridiction suprême a fait couler bien de l’encre. Beaucoup ont vu en cela le signe d’un arrêt de principe, d’une décision qui apporterait réellement à l’ordre juridique, qui ferait évoluer la jurisprudence… C’était sans compter les nombreuses particularités qui émaillent le droit de la presse, faisant de cette branche du droit un corpus de textes à la fois anachroniques et dérogatoires. En effet, l’ambivalence de ce droit réside dans le principe « que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ». S’attaquer au principe phare, à la liberté par excellence, qu’est la liberté d’expression, ne peut se faire qu’au moyen de nombreux gardes fous et pour des raisons toutes légitimes. Ainsi l’ouvrage étant de taille et le risque de tomber dans la censure pure et simple élevé, la procédure est complexe et semée d’embûches. Sans vouloir détailler plus en avant la technicité juridique liée à ce type de contentieux, disons seulement que le simple fait d’introduire une action en diffamation ou en injure publique ou non publique est un véritable parcours du combattant : délais très courts pour citer (3 mois à compter de la publication des faits), nécessité de qualifier exactement l’infraction (une injure n’est pas une diffamation et vice versa), de viser le texte (l’article exact de la loi de 1881 sur la liberté de presse par exemple), … L’objectif est simple : la liberté d’expression est le principe, la poursuite pénale l’exception. Cette dernière ne pourra aboutir que si l’expression de l’un atteinte à l’honneur ou à la considération de l’autre. Ce qui n’est pas nécessairement une mince affaire. Il s’agit également de décourager, à notre sens, les procéduriers nés : en rendant obligatoire la consignation d’une somme environnant les 2.000 € (comme provision en cas de procédure abusive ou de dénonciation calomnieuse), l’ordre juridique français achève de protéger le droit de tout un chacun de s’exprimer comme bon lui semble. Néanmoins, le législateur français considère que tous les types d’injures ou de diffamations ne se valent pas. Pendant longtemps, les propos à caractère racistes ont été les seuls à bénéficier d’un traitement aggravé : délai rallongé (un an pour agir), peines plus lourdes… La loi de 2004 a étendu partiellement, la prescription de l’action demeurant celle de 3 mois, la portée de ce traitement aux propos injurieux ou diffamatoires fondés sur le sexe de la personne, sur son état d’aptitude physique ou sur son orientation sexuelle. Le but premier était de lutter contre le sexisme, l’handiphobie et l’homophobie. A ce titre, si les deux premiers ne semblaient pas déranger outre mesure Christian Vanneste, tel n’est pas le cas du dernier : à l’occasion du dépôt d’un amendement tendant à retirer le critère de l’orientation sexuelle du projet de loi, le député de Tourcoing a parlé notamment de l’homosexualité comme d’un danger pour l’humanité. Ces paroles étant couvertes par l’immunité parlementaire (comme le sont, celles, autrement plus choquantes prononcées par Gérard Longuet en juillet dernier), l’affaire aurait pu en rester là. Néanmoins, Christian Vanneste en expliquant ces mêmes propos dans deux journaux a pu être poursuivi. Contrairement à ce qui a été écrit et dit, l’arrêt de cassation n’amoindrit pas le pouvoir de la loi de 2004. Si on peut difficilement s’en féliciter, il convient néanmoins de ne pas adopter une approche trop alarmiste : l’injure directe, celle qui relève de l’invective lambda, de la bêtise la plus pure, en bref de l’homophobie de fin de repas, celle qui a pollué jusqu’à notre langage courant, pourra toujours être poursuivie, à condition, bien entendu, que la personne objet de l’injure ou de la diffamation se lance dans la procédure laborieuse édictée par le droit de la presse… Après tout, il faut le dire, il faut l’écrire : le droit de la presse protège la liberté d’expression mieux que la dignité de la personne. Plus inquiétant, en revanche, est le fait qu’une juridiction française, a fortiori la Cour de Cassation, ne trouve rien à redire aux propos de Christian Vanneste. C’est en ce sens que cet arrêt pose une limitation à la mise en œuvre de la loi de 2004 : sous couvert de réflexions relevant d’une philosophie toute personnelle voire partisane, il semble dorénavant possible d’exprimer des opinions de nature à heurter la sensibilité des personnes pour reprendre l’euphémisme de la Cour de Cassation. Par ailleurs, l’autre risque est que, suivant l’exemple de Christian Vanneste, il y ait une recrudescence de propos haineux et ouvertement homophobes. Si ceux-ci rentreraient clairement dans les dispositions de la loi de 2004, on ne peut se réjouir de l’idée même qu’ils puissent survenir, nonobstant les condamnations qu’encourraient leurs auteurs. En revanche, l’arrêt de cassation de novembre n’est pas un blanc-seing pour autant. La pertinence du propos n’a pas été analysée. Juste son caractère illicite. Si un laisser-dire a été signé, c’est au nom, également, de la liberté de dire à peu près tout et n’importe quoi…

Pour répondre à Christian Vanneste

Quoiqu’il en soit, les propos de Christian Vanneste nous posent problème à double titre :

–         en considérant la pratique homosexuelle comme un choix honteux, le député de la circonscription de Tourcoing nie la possibilité de vivre celui-ci en public : l’homosexualité ne peut être que cachée ou refoulée. Au-delà du fait que la qualification de choix est inappropriée en l’espèce (une préférence de quelque nature qu’elle soit n’est jamais un choix conscient mais plutôt un objet socioculturel composite), la suite du propos est blessante. Sans vouloir sombrer dans des analogies douteuses, après l’abrogation du sinistre amendement Mirguet (qui érigeait l’homosexualité au rang de fléau social), après même la tolérance consentie par la psychiatrie (en éliminant l’homosexualité de la classification des maladies mentales), on se croit revenir en lisant Christian Vanneste en arrière… bien en arrière

–         en posant une hiérarchie « morale » des sexualités, Christian Vanneste énonce le principe qu’une sexualité pour pouvoir être acceptée, doit d’abord être productive. Nonobstant l’image déplorable que cette formulation donne à toute sexualité, le propos est de nature à heurter les sensibilités, et ce, bien au-delà des personnes à pratiques homosexuelles. Toute personne poursuivant une sexualité partielle (au sens freudien, c’est à dire non orientée vers la procréation) est susceptible de voir qualifier sa pratique de la sexualité de « moralement inférieure » à celle mise en avant par Christian Vanneste

Ces assertions n’étaient elles pas choquantes ? La Cour de Cassation a tranché en faveur de la liberté d’expression, donnant par là même au député de Tourcoing l’occasion de repartir de plus belle en croisade ! Néanmoins, il demeure possible d’avoir une autre lecture des mêmes propos : cela a d’ailleurs été le cas des juridictions de première instance et d’appel. Il est possible également de poursuivre sur le terrain des idées le combat contre les dits et écrits de Christian Vanneste. Écrivons-le, ces propos sont blessants et ineptes. Blessants de part la confusion entretenue ou fortuite qui est créée par ceux-ci : hiérarchiser des pratiques est de nature à attenter à la dignité et à la considération des personnes qui en sont les sujets. Ineptes de part leur caractère aisément réfutable. En effet, Christian Vanneste pour se défendre explique que sa comparaison « morale » doit être prise dans un sens kantien. Au-delà du fait qu’il semble curieux de demander aux lecteurs de la Voix du Nord et de Nord Éclair d’être rompus au système philosophique d’Emmanuel Kant, l’usage qui est fait par le député de Tourcoing de la notion d’impératif catégorique laisse rêveur… Selon celui-ci, l’homosexualité serait moralement inférieure car cette pratique n’est pas généralisable. Toujours d’après Christian Vanneste, et c’est en cela que cette comparaison douteuse sert d’illustration aux propos tenus devant la représentation nationale (l’homosexualité en tant que fin de l’humanité), si tout le monde se livrait à une homosexualité exclusive, cela sonnerait le glas de notre espèce. Notons tout de même que ce genre de propos sous un vernis philosophique rejoint parfaitement le « bon sens populaire » (SIC !). A suivre la pensée de Christian Vanneste, cela signifierait donc que l’état de prêtre catholique est moralement inférieur à celui de laïc : en effet de part le vœu d’abstinence, l’humanité courrait également à sa perte. Pire même ! L’état de prêtre catholique serait moralement inférieur à celui de rabbin ou de pasteur. Grâce au système tout personnel de Christian Vanneste, il nous est permis de faire une hiérarchie des pratiques religieuses… Mais c’est certainement que nous n’avons encore rien compris ! Par ailleurs, nous admettons ne pas voir en quoi l’homosexualité ne serait pas généralisable : la sexualité est depuis un certain temps, en quelque sorte, déconnectable de la reproduction. La procréation médicalement assistée existe, par exemple… Enfin, il n’est guère concevable que l’humanité toute entière bascule dans l’homosexualité exclusive. Christian Vanneste envisage des hypothèses éthérées qui n’existent que dans les rêves (ou les cauchemars) des philosophes, et ce, pour s’opposer à une loi qui répond à des situations concrètes. En effet, face à la discrimination et à l’injure homophobes, aux violences faites à l’encontre des gays, Kant semble être d’un moins grand secours que la protection de la loi. Mais à en juger par l’une des dernières questions au gouvernement posée par le député de Tourcoing, cet argument ne semble pas réellement le convaincre. Alors, oui, Christian Vanneste pourra continuer à proférer ces mêmes inepties du moins pour l’heure… Mais n’en déplaise à ce membre de la représentation nationale, la loi de 2004 pourra toujours continuer, avec ses avantages et ses défauts, à fonder des poursuites pour réprimer ce qui n’est pas un délit d’opinion, mais une véritable attaque en règle contre des personnes, en raison de leur orientation sexuelle.

Le Fonds de Lutte contre l'Homophobie et la loi de 2004

Crée en avril 1999, à l’initiative de ProChoix, pour répondre par la voie judiciaire aux diverses horreurs proférées lors des débats sur le PaCS, ce fonds permet, grâce aux divers dons recueillis, d’engager des actions en justice pour réprimer l’homophobie sous toutes ses formes. Par ailleurs, un manifeste ainsi qu’un projet de loi avaient été rédigés à l’époque par la même structure dans le but d’informer l’opinion publique et le législateur sur la nécessité de prendre des dispositions. Si à l’époque une personne victime de propos homophobes pouvaient parfaitement agir en diffamation ou en injure (sur la base du droit commun de la presse), la législation ne permettait pas d’obtenir la moindre condamnation si le propos était prononcé ou écrit à l’encontre de l’homosexualité ou des personnes à pratiques homosexuelles en général. De même les associations de lutte contre les discriminations homophobes ne pouvaient pas se constituer partie civile au moindre procès. La création du Fonds de Lutte contre l’Homophobie a permis d’ouvrir le débat, de le porter sur la scène publique. Egalement de collecter les fonds nécessaires à la poursuite en justice de la revue Présent pour un dessin assimilant homosexualité et pédophilie… La loi de 2004, en ce sens, est la conséquence de ces actions, permettant notamment à des associations de se constituer partie civile comme cela a été le cas lors de l’affaire Vanneste. Rappelons que le manifeste de 1999 en appelait, notamment, à « une véritable stratégie, répressive et préventive, contre l’incitation à la haine et les discriminations. Pour en finir avec le rejet, l’intolérance et le mépris ». Ce discours universaliste semble devoir encore et encore être expliqué. En 2008, l’homophobie est encore une discrimination à part, ne déclenchant pas la même indignation que le racisme ou l’antisémitisme. C’est inacceptable et si quelques progrès ont été effectués depuis sa création, le Fonds de Lutte contre l’Homophobie a encore sa raison d’être, à notre plus grand regret.

Plus de droits pour tous, le rejet du piège communautariste

Un des arguments soulevés lors de la défense du député était que cette loi, celle de 2004, est nécessairement anticonstitutionnelle, car au bénéfice d’un groupe érigé en communauté. En effet, et nous suivons Christian Vanneste sur ce point, la loi doit être la même pour tous. Une loi qui ne serait pas applicable de la même façon à l’ensemble de la population française viserait à morceler la République (serait « moralement » inférieure ?). Et c’est effectivement, ce que nous disions déjà dans un précédent article en nous prononçant en faveur de l’universalisme et en rejetant aux gémonies toute forme de particularisme. La loi de 2004 s’exprime-t-elle uniquement en faveur d’une « communauté » ? La lutte contre l’homophobie a présidé à son édiction, nous ne pouvons le contester. Mais le texte a écarté ce mot, lui préférant la raison de « l’orientation sexuelle ». Nous pouvons supposer que toute personne a une orientation sexuelle, que celle-ci soit exclusive ou non, vécue ou pensée. Dès lors si l’homophobie tombe sous le coup de cette loi, tel peut être le cas, certes plus marginal, de l’hétérophobie. L’expression peut prêter à sourire mais il existe néanmoins au moins un précédent qui a été jugé par la Cour d’Appel de Paris. Une salariée qui exerçait les fonctions d’assistante de direction au sein du SNEG contestait son licenciement au motif qu’elle était… une femme hétérosexuelle. Elle avait en effet été remplacée par un salarié homosexuel. Si la juridiction d’appel a refusé de faire droit à sa demande, elle n’a pas écarté pour autant en son principe la discrimination hétérophobe. Par ailleurs le même type de raisonnement peut être utilisé pour imaginer un racisme anti-blanc, un sexisme mysandrique, une discrimination contre les personnes valides… Si la loi de 2004 a été votée dans le but avoué et avouable de protéger des personnes minoritaires ou en position de « faiblesse » par certains aspects de leur vie, rien n’empêche qu’elle puisse être renversée et employée au bénéfice de personnes qui sont, en principe, en position de « force ». Toute discrimination doit être condamnable et ce, peu importe l’ethnie de la personne qui en est victime, ou son sexe ou son orientation sexuelle. Tel est le sens de la loi. Ces dispositions n’ont rien à faire avec le communautarisme, elles relèvent juste de la prise en compte par le législateur du fait que certaines atteintes à l’honneur ou à la considération sont plus blessantes que d’autres et méritent, à ce titre, un dispositif plus souple en faveur des victimes et des peines accrues pour les coupables. Nous pourrions même écrire que toujours dans l’acceptation kantienne, chère à Christian Vanneste, au regard de la loi, l’homophobe est « moralement » inférieur au coupable de l’injure simple. Mais ce serait oublier que les propos du député de Tourcoing font parties d’un système rhétorique plus complexe : ne pas lutter contre la condamnation de l’homophobie reviendrait, à son sens, à permettre à terme l’ouverture de l’adoption et du mariage aux couples homosexués.

La hiérarchie des sexualités et des valeurs issue du Code Civil

Christian Vanneste avait présenté le 6 juillet 2006 une proposition de loi supprimant la référence à l’orientation sexuelle des dispositions du droit de la presse. L’exposé des motifs était particulièrement révélateur de la stratégie d’ensemble : « en effet, il doit être possible dans le cadre d’un débat démocratique respectueux des croyances religieuses ou engagements philosophiques des uns ou des autres que chacun puisse en toute liberté soutenir son propre point de vue. Par exemple, qu’un chrétien, un juif et un musulman puissent faire valoir l’infériorité morale des comportements homosexuels par rapport à ceux qui fondent le mariage entre un homme et une femme afin de créer une famille au sein de laquelle seront élevés des enfants. Il est, en effet, légitime que ceux qui se réclament de la bible, puissent adhérer au principe énoncé dans le Lévitique : « Tu ne coucheras point avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination. » (L. 18.22) et tout aussi loisible aux citoyens préoccupés par l’avenir de la Nation de préférer des comportements qui ne constituent pas une menace pour la survie de l’humanité ainsi que le notait Voltaire, dans son Dictionnaire philosophique ». La rhétorique employée est habituelle : au nom de la liberté de débattre, les partisans de cette proposition demandent l’abrogation du dispositif permettant de condamner l’injure et la diffamation homophobe. Ne pas reconnaître la possibilité de tels délits permettrait ainsi à Christian Vanneste de s’opposer utilement à toute revendication relative au droit de la famille pour les couples homosexués. Soit. C’est son choix stratégique, ses convictions. Tous les adversaires aux revendications s’agissant du mariage ou du droit à la filiation, ne partagent pas cette position. Xavier Lacroix, pour ne citer que lui, reconnaissait bien en introduction à un recueil d’articles l’existence « de réelles violences homophobes ». Alors quel bénéfice tirer des propos de Christian Vanneste, de son opposition à la loi de 2004, par rapport à l’interdiction du mariage pour les couples homosexués ? En posant une hiérarchie morale des sexualités, en rétablissant le critère de la productivité, le député de Tourcoing, cherche à légitimer une hiérarchie elle même posée par le Code Civil. Si en 2008, toutes les sexualités sont acceptables pour peu qu’elles soient consenties, cela ne signifie pas pour autant qu’elles soient reconnues comme véhiculant des valeurs d’égales importance. Dès lors, aux yeux d’une partie de l’opinion, une discrimination peut s’opérer en toute légitimité. Le diagramme posée par Gayle S. Rubin sur l’acceptabilité des sexualités pourrait trouver son exact reflet dans les dispositions du Code Civil : le mariage pour sanctifier une union optimale (deux personnes de sexe différents), le PaCS ou le concubinage pour les unions acceptées, voire tolérées (en gros les couples homosexués) et pour les autres, les limbes de l’oubli dans lesquelles il serait préférable qu’ils se cachent… D’ailleurs, Christian Vanneste dans un billet de juin 2008 explique à qui veut l’entendre que l’existence même du PaCS est de nature à justifier de l’interdiction du mariage homosexué. Nous considérons plutôt ce contrat comme un premier pas vers l’ouverture au mariage, comme une première concession… Par ailleurs, il n’y a guère de sens à considérer le PaCS comme une disposition réservée ou destinée aux homosexuels : si le statut des couples homosexués a présidé à l’édiction de la loi, là encore, elle n’est en rien fermée aux couples hétérosexués (et nous ne pouvons que nous féliciter de cette orientation universaliste de la loi). Le PaCS peut séduire par sa souplesse, là où d’autres chercheront dans le mariage un caractère peut être plus symbolique. Au delà de ça, ce qui permet aux arguments de Christian Vanneste de prospérer ce sont également les discriminations clairement posées par la législation en vigueur : le député de Tourcoing rappelait dans un document émanant de son cabinet que le Ministère de la Santé « continue de faire une distinction entre les deux types de comportement pour la transfusion du sang [SIC ! Nous supposons que le rédacteur voulait parler de « don du sang »], qui est écartée pour les personnes qui se disent homosexuelles ». Ainsi, il peut déduire de cette discrimination intolérable que « manifestement les comportements homosexuels sont plus dangereux », justifiant par là même la possibilité d’autres discriminations.

Des raisons que la raison ignore

Alors pourquoi ne pas autoriser le mariage pour les couples de même sexe ? Quel est l’obstacle dirimant ? Comme nous l’avions dit dans une précédente publication, la loi ne pose pas la différence des sexes comme condition. La motivation de l’arrêt de cassation dans l’affaire des mariés de Bègles est édifiante : considérant que « selon la loi française, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme », la juridiction suprême rejette l’argumentation des auteurs du pourvoi, sans pour autant préciser la disposition à laquelle elle fait référence. Le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux qui avait connu en première instance de cette affaire, avait été plus loquace : il interprétait à la corde des dispositions du Code Civil, il en appelait aux travaux législatifs de l’époque de la rédaction des articles en question (1804 !) et invoquait la tradition du mariage communément admise ! Le raisonnement est bien léger et fleure bon l’argument d’autorité. Nous l’avons vu, la proposition de loi présentée par Christian Vanneste invoquait le Lévitique. D’autres recourent à la psychanalyse ou à l’anthropologie, brandissant les paroles de Tony Anatrella ou interprétant de manière abusive les textes de Claude Lévi-Strauss… Mais d’arguments juridiques, nous n’en trouverons point. Xavier Lacroix faisait ce constat partiel d’échec : « plus une réalité est fondamentale, plus elle est difficile à justifier ». On pourrait rétorquer que ce n’est pas parce qu’une position est difficile (voire impossible) à justifier qu’elle relève d’une réalité quelconque. Et à notre grand regret, le débat ne semble pouvoir être possible, faute de vocabulaire commun : opposer à des arguments juridiques, des notions et concepts tirés de la croyance (la religion), de pratiques scientifiquement contestées (la psychanalyse) ou de sciences prises hors de leur champ d’application (l’anthropologie structuraliste par exemple), ne permet pas un véritable dialogue…

Les unions « dangereuses » : la charge de la preuve

La loi civile par le biais de l’interprétation qui en est faite par la juridiction suprême organise une hiérarchie des orientations sexuelles. Or, toute discrimination doit être fondée, le principe étant toujours la liberté, l’interdiction devant demeurer l’exception. En appeler au « bon sens populaire » ou aux « fines observations sociologiques » n’est pas faire œuvre de juriste. Bien entendu dans la rhétorique des opposants au mariage gay, il est souvent invoqué que cette interdiction n’est en rien une discrimination. Après tout comme le souligne Thibaud Collin, les personnes à pratiques homosexuelles peuvent se marier, tant que cette union concerne un homme et une femme. Au-delà de la question de l’intérêt de ce droit au mariage hétérosexué pour les gays, ce propos a l’avantage de contourner la difficulté et le débat de fond. Sans discrimination, les revendications des gays ne pèsent guère lourdes… Mais cette égalité est de façade et méconnaît la volonté des couples homosexués de s’unir. La réelle question de fond peut se poser de la façon suivante : en quoi la différence des sexes est elle indispensable au mariage ? Ou plutôt, qu’est ce qui est l’essence même du mariage ? Loin du verbiage psychanalytique sur la génération et les fondements de la civilisation, penchons nous sur les raisons pour lesquelles tout un chacun peut se marier. Les couples stériles peuvent se marier, les abstinents aussi, les impuissants, les personnes sans projet parental… Le critère de la fertilité de l’union n’est donc pas recevable. Quelle obligation essentielle du mariage serait alors malmenée par la reconnaissance du mariage pour les couples de même sexe ? La réponse est simple : aucune. Ni la fidélité, ni la communauté de lit, ni l’obligation de secours mutuel, ni aucune obligation est ipso facto inconcevable pour un couple homosexué. Dans un monde idéal, il ne devrait même pas être nécessaire d’argumenter ou de batailler devant la justice pour pouvoir faire reconnaître de telles unions : ce devrait être aux personnes s’y opposant de devoir justifier de leurs positions. D’expliquer en quoi, d’après un raisonnement juridique ou scientifique, et non pas avec des arguments d’autorité relevant de la croyance ou d’un prétendu « bon sens », un tel type d’union serait dangereux ou nuisible pour la société. Pas en brandissant Freud ou la Bible, mais bel et bien la loi civile

En finir avec la discrimination

Vraisemblablement au regard des oppositions formées à l’encontre de ces revendications légitimes, il sera nécessaire d’argumenter inlassablement, de protester, d’interpeller la représentation nationale et de gagner petit à petit les concessions qui feront qu’un jour la France en aura fini avec cette inégalité reposant sur des concepts vagues tels que l’ordre symbolique. Il est intéressant, sinon amusant, de constater que le débat n’a rien de nouveau : Jeremy Bentham s’était penché sur la question dans une série d’opuscules assez peu connus. Le philosophe utilitariste écrivait notamment, au sujet du « crime homosexuel », que « la tribu toute entière des juristes qui écrivent sur le droit anglais, dont aucun n’en sait davantage sur le sens qu’il attribue au mot d’ordre public qu’il n’en sait sur un très grand nombre d’expressions […] compte [l’homosexualité] parmi les délits contre l’ordre public ». C’est en effet en utilisant des mots valises aux vertus incantatoires que l’on justifie en principe l’injustifiable. Bentham va plus loin en commentant la phrase de Voltaire à laquelle se réfère Christian Vanneste : « pour observer une loi d’une telle portée, il suffit qu’on pratique cette sorte non prolifique de rapports vénériens, il n’est pas nécessaire qu’on la pratique à l’exclusion de celle qui est prolifique » (qu’aurait écrit Bentham si la PMA avait été connue de son temps ?). Reprenant Hume et Smith, Bentham conclut : « à considérer le problème a priori […] nous découvrirons que ce n’est pas la force de l’inclination de l’un des sexes envers l’autre qui est la mesure du nombre d’êtres humains, mais la quantité de moyens de subsistance qu’ils peuvent trouver ou produire à un endroit donné ». L’homosexualité n’est pas incompatible avec le désir de paternité ou de maternité. Pour cette seule et unique raison, l’homosexualité ne représente pas le danger annoncé par certains : Voltaire se trompait, le genre humain continuera à bien se porter nonobstant l’orientation sexuelle de celui-ci. Dès lors les revendications des gays au regard du droit de la famille ne constituent nullement une demande communautariste mais bel et bien l’application du principe de non discrimination. Il est regrettable d’avoir à le justifier. Comme il est regrettable que le groupe socialiste, dans son projet de loi de janvier 2008 sur le mariage pour les couples de même sexe, commette une erreur de formulation : dans une logique universaliste, il est inutile et même néfaste de distinguer, s’agissant d’une même institution, entre un couple formé de personnes de même sexe et un couple hétérosexué. Car après tout, pour reprendre Barthes, « l’amour est unisexe, comme les jeans ».

 

« Au-delà de l’homophobie : la pyramide des valeurs », ProChoix n°46, décembre 2008, pp. 79-94