"VIH : se surveiller ou punir" - revue Prochoix

avocat Lyon VIH contamination

Me Katia GUILLERMET, Me Guy NAGEL avocats à Lyon (mise à jour mars 2009)

pour en savoir plus sur les poursuites en droit pénal

« SIDA : se surveiller ou punir », ProChoix n°47, mars 2009, pp.61-74

SIDA : se surveiller ou punir

En décembre dernier, la Cour d’Assises du Loiret condamnait une femme, séropositive au VIH, à la peine de cinq ans d’emprisonnement avec sursis pour avoir contaminé son époux. Il lui était reproché, notamment, de ne pas avoir révélé son statut sérologique à son partenaire sexuel, alors même qu’ils avaient eu des rapports non protégés. Il s’agit de la première décision de ce type prononcée par une cour d’assises. Des tribunaux correctionnels avaient néanmoins rendu, récemment, un certain nombre de décisions au visa de l’article 222-15 du Code Pénal incriminant « l’administration volontaire d’une substance nuisible ayant entraîné une infirmité permanente ». Ainsi en 2004, le Tribunal Correctionnel de Strasbourg avait infligé une peine de 6 ans d’emprisonnement pour des faits similaires, peine confirmée devant la Cour d’Appel de Colmar en 2005. En juin 2008, la juridiction répressive marseillaise avait prononcé 2 ans d’emprisonnement. En février dernier, 5 ans avaient été requis devant le Tribunal Correctionnel de Saint-Malo, ce dernier ayant finalement opté pour la relaxe… Il semblerait que, situation inédite, le nombre d’affaires ayant trait aux contaminations au VIH par voie sexuelle aille en s’accroissant ces dernières années. Sans que l’on sache trop pourquoi, alors même que cette voie semblait abandonnée depuis un arrêt de la Cour de Cassation en 1998, l’accent semble être dorénavant mis sur la répression : on peut y voir l’effet d’un certain activisme, à l’instar de celui de l’association Femmes Positives, ou de la médiatisation de pratiques sexuelles à risque comme le Bareback. Quoiqu’il en soit, effet médiatique ou réalité d’un relâchement dans les pratiques de prévention, la correctionnalisation des comportements sexuels des personnes vivant avec le VIH inquiète à juste titre. Comme une tribune publiée récemment dans le monde le rappelle, « vingt-cinq ans après le début de l’épidémie, il y a toujours en France 7000 contaminations par an ». Doit-on pour autant faire 7000 procès ? Si nous n’en sommes pas encore, heureusement, à ce stade, il semble plus que raisonnable de penser que la décision de la Cour d’Assises du Loiret ne sera pas la dernière… Mais qu’était-il reproché exactement aux personnes poursuivies dans ces affaires ? Il s’agissait, à chaque fois, de personnes séropositives au VIH qui ont, par le biais de relations sexuelles non protégées, contaminé leur(s) partenaire(s). Les peines requises ou effectivement prononcées sont lourdes et témoignent d’une volonté des juridictions répressives de marquer les esprits. Si, pour l’heure, ces décisions ne sont pas légion, elles n’en demeurent pas moins préoccupantes, ne serait ce que parce qu’elles réactivent de vieux démons. La question avait pourtant fait débat en son temps. En 1991, le Sénat avait même adopté un amendement édictant une infraction spéciale, finalement abandonné par l’Assemblée Nationale, dans le cadre de la réforme du Code Pénal. En 1998 la Cour de Cassation avait écarté, dans un cas similaire, la possibilité d’entrer en voie de condamnation sous la qualification d’empoisonnement. Des dents avaient grincé à l’époque : certaines au nom de la rigueur de l’édifice pénal (cf. Alain Prothais), d’autres émues par la situation des victimes… Quoiqu’il en soit, le statu quo édifié avec les associations allait tenir jusqu’à la moitié des années 2000. Au nom de la notion de responsabilité partagée (Je me protège / Je protège les autres, ni victimes ni coupables juste malades), aucune qualification pénale ne pouvait être retenue. C’était la pierre angulaire de la prévention. Le moyen de limiter toute forme de stigmatisation et d’encourager tout un chacun à se faire dépister et à se protéger systématiquement lors de tout rapport sexuel. Le revirement effectué par les juridictions répressives françaises n’est pas anodin. En effet, que restera-t-il de la responsabilité partagée si le juge pénal s’en mêle ? La pénalisation est-elle possible en l’état actuel des choses ou même souhaitable ? Faut-il édicter un texte spécial ? La société gagne-t-elle à enfermer ces prévenu(e)s ? Autant d’interrogations liées à une problématique que l’on croyait pourtant dépassée…

Pas de délit sans texte, pas d'infraction sans intention de la commettre

Qualifier un fait d’infraction pénale suppose le plus souvent la réunion d’un double élément : conscience (Je sais que c’est mal) et intention (C’est ce que je veux) délictuelles. A l’exception d’un certain nombre d’actes involontaires (notamment l’homicide involontaire) et des contraventions (qui contrairement aux crimes et aux délits ne supposent pas l’intention de commettre le comportement défectueux), tout délit suppose que son auteur l’ait voulu. A défaut, la juridiction ne pourra entrer en voie de condamnation et le prévenu ou l’accusé devra dès lors être relaxé, l’infraction n’ayant pu être constituée faute d’élément moral. C’est d’ailleurs au nom de ce principe fondateur que la Cour de Cassation, en 1998, avait estimé qu’un séropositif poursuivi pour avoir contaminé ses partenaires suite à des relations sexuelles non protégées ne pouvait être condamné pour empoisonnement : si il y avait eu bel et bien transmission d’un virus (la solution était déjà connue et acceptée en droit pénal), conscience du risque de transmission et des conséquences sur la vie et la santé de la victime, il avait été jugé qu’en raison du fait que l’accusé n’avait pas l’intention de contaminer autrui, il ne pouvait être condamné de ce chef. L’arrêt avait fait couler pas mal d’encre : certains se félicitant à l’instar de Marcela Iacub de cette décision au nom du principe de la responsabilité partagée, d’autres s’en lamentant ou tentant d’en limiter la portée. Par la suite, la stratégie répressive a été adaptée pour permettre les poursuites : oubliant la voie de l’empoisonnement, les parties poursuivantes se sont « contentées » de l’administration de substances nuisibles ayant entraîné une infirmité permanente. Là encore, la qualification utilisée a été critiquée : toujours aux dires d’Alain Prothais, seul l’empoisonnement peut être retenu. Pour d’autres, toute qualification doit être écartée en l’état, les poursuites nécessitant l’adoption d’un texte spécial. Un auteur est même allé jusqu’à envisager des poursuites pour viol. Pour celui-ci, le consentement permettant la licéité du rapport sexuel est vicié soit en taisant le statut sérologique, soit en le dissimulant par la présentation d’un faux test et dès lors, ne serait plus valable. Mais au fond, de quel consentement parle-t-on ? Sauf erreur ou omission de notre part, la chambre criminelle ne s’intéresse qu’à un seul et unique consentement en matière de viol : celui d’avoir des relations sexuelles. Rien n’indique a priori que le rapport sexuel n’aurait pas eu lieu quand bien même le statut de sérologie positive au VIH aurait été révélé ! Ou alors ce serait nier la possibilité pour les séropositifs d’avoir une sexualité dans le cadre d’une relation séro-différente en parfaite connaissance de cause… « L’administration de substances nuisibles » nous semble également largement contestable. En effet, la solution de bon sens adoptée pour la qualification d’empoisonnement par les juridictions répressives pourrait être aisément transposée à ce délit. L’élément moral ne peut que faire défaut : la conscience du risque de contaminer son partenaire n’équivaut pas à la volonté de le faire effectivement. L’infraction ne peut se contenter d’un dol éventuel : il ne s’agit pas de sanctionner une prise de risque mais bel et bien un comportement intentionnel. Les juridictions ne devraient pouvoir se contenter de retenir que le rapport sexuel non protégé ayant été voulu (ou accepté) par le prévenu, de dernier a souhaité l’administration de la substance nuisible. D’ailleurs la conception doctrinale classique est assez floue dans sa formulation, exigeant que « l’agent ait la volonté et la conscience de commettre l’infraction telle que définie par la loi ». Doit on entendre par volonté et conscience, la conscience du risque de contamination et la volonté toujours intacte de réaliser cet acte sexuel ou faut-il, en plus, exiger pour entrer en voie de condamnation que l’agent ait voulu contaminer son partenaire ? Nous pencherions en faveur de cette seconde branche de l’alternative : le rapport sexuel dans les espèces jugées a été voulu pour ce qu’il est, à savoir un rapport sexuel. Contaminer quelqu’un au VIH lors d’un tel rapport n’équivaudra jamais à empoisonner quelqu’un avec de l’arsenic.

Ne jouons pas avec le Code Pénal

La mode est à l’inflation législative. Il semblerait que chaque législature édicte sa foule de textes spéciaux réglementant sur à peu près tout ce qui est possible et imaginable. Si la loi a besoin d’être précise, s’il est nécessaire de tenir compte des évolutions des directives et circulaires européennes ou de trancher par la voie législative certaines divergences d’opinions existant entre les chambres de la Cour de Cassation, il semble également, et on peut le regretter, que la représentation nationale a une propension lourde à légiférer en fonction de l’opinion publique. A ce titre, nul ne s’étonnera dès lors que la suppression du juge d’instruction soit envisagée au moment même où Fabrice Burgaud est jugé par ses pairs. Mais l’opinion publique est une très mauvaise boussole législative. Tout comme, il est regrettable de se servir du bruit occasionné par les différentes affaires de contamination au VIH pour en appeler à un texte spécial. Ce dernier, en effet, poserait un certain nombre de problèmes tant philosophiques que pratiques. En premier lieu, sanctionnerait-il la seule infection au VIH ou également toute exposition à un virus pouvant entraîner une maladie lourde ? D’autres virus sont sexuellement transmissibles : c’est le cas notamment du VHC. Par ailleurs, faudrait-il également punir la contamination au HPV ? Si ce virus n’est en tant que tel pas d’une gravité excessive, il est établi qu’il serait à l’origine de certains cancers. Le problème par ailleurs, étant que la sérologie de tout un chacun à ces virus (notamment pour les porteurs asymptomatiques au HPV) peut être plus fréquemment ignorée que celle au VIH. Ne pas distinguer le VIH des autres virus sexuellement transmissibles entraînerait une responsabilité pénale excessive de personnes qui pourraient arguer, à raison, qu’ils ignoraient leur sérologie VHC / HPV. Distinguer le VIH des autres virus serait philosophiquement inacceptable et conduirait à la création d’un véritable texte spécial (dans la motivation de son existence mais également dans sa rédaction). On voit ainsi poindre un problème majeur d’éthique. Par ailleurs, il est un autre cas qui ne semble pas avoir été envisagé : quid du séropositif au VIH qui tait sa pathologie à un autre séropositif au VIH, mais contaminé par une souche différente ? C’est le problème de la surinfection et du risque de développer une souche résistante (pouvant conduire le malade à une impasse thérapeutique et à une mort à brève échéance). Ainsi, le contenu de l’information qui devrait être donné à son partenaire avant tout rapport sexuel non protégé s’avère problématique : en plus de la sérologie VIH, il conviendrait d’ajouter (et de manière non exhaustive) la souche exacte du virus, ses résistances éventuelles aux traitements (et si oui lesquels ?) sans oublier la sérologie VHC, HPV, CMV, etc… La liste peut être poursuivie à l’infini, montrant bien évidemment les limites d’une telle législation. Pour l’heure, la voie de l’incrimination spéciale ne semble pas être à l’agenda parlementaire et nous ne pouvons que nous en féliciter. Néanmoins, d’autres pays se sont engouffrés dans cette voie. Il ressort d’une étude réalisée par le Sénat en 2005 qu’un certain nombre d’états se sont dotés d’une législation spécifique à l’instar du Danemark qui, depuis 2001, sanctionne le fait de prendre le risque de transmettre à autrui certaines affections (le sida étant la seule actuellement concernée). La peine encourue est lourde et peut aller jusqu’à 8 années d’emprisonnement. Par ailleurs, le Canada va encore plus loin : la cour suprême estimant que « toute personne séropositive a l’obligation de divulguer sa séropositivité avant de s’adonner à une activité sexuelle qui comporte un risque important de contamination ». Cette obligation a même été étendue en 2003 aux personnes qui ont des doutes sur leur séropositivité. Ces deux législations posent le même problème : qu’est ce qu’un rapport à risque ? Comment entendre in concreto cette formule issue de l’esprit de juristes ? Si nous pouvons encore comprendre la législation danoise comme extensive (tout rapport susceptible de contaminer autrui), la formulation canadienne est plus problématique : qu’est ce qu’un risque important ? Et au-delà de ça, comment prendre en compte les spécificités de chacun ? Le Canada poursuivant également ceux qui auraient des doutes sur leur sérologie, on peut très aisément imaginer une personne récemment séroconvertie, suite à un rapport non protégé, s’engageant dans d’autres rapports tout aussi peu protégés, et ignorant son statut sérologique. Médicalement, le risque de contaminer autrui est nettement plus important dans la période suivant directement la séroconversion : étant plus « contaminantes », les personnes placées dans cette situation seraient elles plus coupables en dépit de leur ignorance légitime de leur statut sérologique ? La Suède, quant à elle, a suivi le même chemin : « dans ce pays, toute personne séropositive est obligée de révéler son statut avant un rapport sexuel, qu’il soit protégé ou non, sous peine de poursuites ». En Suisse la situation est légèrement différente : une personne vivant avec le VIH peut être poursuivie et condamnée pour avoir entretenu des rapports non protégés même si le partenaire sexuel était consentant et informé de son statut sérologique. Ce n’est au fond que l’application du principe, connu également en droit pénal français, selon lequel le consentement de la victime n’est pas de nature à exonérer le coupable de sa responsabilité pénale s’agissant des atteintes à la personne. Plus précisément, le consentement donné n’est pas reconnu comme valable, nul ne pouvant consentir à être tué (même pour les cas d’euthanasie active) ou violenté (ignorant par là même le cas particulier des relations sado-masochistes). Ce principe général ne tient pas compte de l’existence de situations bien particulières : il est à craindre que si une législation spéciale venait à apparaître en France, l’information ou le consentement ne suffiraient pas à exonérer le « coupable ». En viendra-t-on à une société où la personne vivant avec le VIH devra se ménager la preuve qu’elle a divulgué une information complète et loyale avant de s’engager dans une relation sexuelle ?

La triade pénale : la société, le coupable, la victime

Quand bien même une infraction pourrait être retenue en l’état de notre droit pénal ou suite à l’élaboration d’un texte spécial, nous ne pouvons être que dubitatifs quant à l’utilité de la sanction pénale en son principe même. En effet, le juge pénal a des pouvoirs importants : il décide de qui sera enfermé. Ce pouvoir sur la liberté d’autrui n’est pas anodin. C’est pour cette raison que la procédure pénale est très stricte, rigoureuse, tout comme le processus de qualification de l’infraction. Et, classiquement, la peine ne doit pas être prononcée à la légère : Beccaria l’écrivait déjà en son temps et depuis, en théorie, les choses devraient continuer à se passer de la même façon. C’est ce qu’on appelle le triple objectif de la peine pénale : réparer le dommage causé à la société, assurer la protection de la victime et permettre l’amendement du coupable. Cette théorie n’est pas toujours appliquée en pratique et l’on pourrait gloser à l’infini sur la nécessité de prononcer des peines d’enfermement s’agissant de telle ou telle infraction. Tout comme, nous pourrions nous lamenter de l’état des prisons françaises. Mais ce serait, là encore, passer à côté de l’essentiel : dans le cadre des contaminations au VIH, si on peut imaginer l’intérêt de la victime (possibilité de voir indemniser son préjudice, satisfaction d’avoir obtenu justice contre le prévenu ou l’accusé), le respect de ceux de la société et du coupable semble plus hasardeux. En premier lieu, la peine vise à sanctionner un comportement coupable : la faute pénale n’est pas la faute civile. La faute pénale met à mal le tissu social de façon caractérisée. Il s’agit dès lors pour la société de stigmatiser un comportement en marginalisant son auteur et également de donner un exemple pour le futur. C’est ce que l’on pourrait qualifier de vertu normative et dissuasive de la peine. Mais là où le bat blesse, c’est qu’une loi ne pourra être respectée que si elle est capable d’être intériorisée par ses assujettis. Il faut donc qu’elle puisse être comprise en premier lieu et acceptée par la suite. Pour pouvoir être comprise, il est nécessaire qu’elle soit juste. Se protéger et protéger les autres est une posture morale, c’est même la seule efficace en matière de prévention sida. Ecrire que faire prendre des risques à son partenaire sexuel est une attitude moralement condamnable est une chose, condamner pénalement la personne qui a eu des rapports sexuels non protégés tout en se sachant séropositive en est une autre. Le rapport sexuel est quelque chose de complexe au sein duquel intervient un certain nombre de facteurs qui ne sont pas nécessairement tous rationnels : on comprend aisément que la morale ne peut être qu’une boussole et non pas un horizon indépassable. Nous pourrions en appeler une fois de plus à l’impératif catégorique kantien mais il semble irrémédiablement inapplicable dans le cadre d’une chambre à coucher. Dès lors, instaurer une responsabilité morale, partagée entre toute personne s’engageant dans une relation sexuelle, c’est une règle de bon sens que l’on peut aisément comprendre. En déduire que la règle sera suivie de manière indéfectible, c’est faire preuve d’angélisme. Condamner les contrevenants à de l’emprisonnement ferme en pensant mettre les autres au pas, c’est se bercer d’illusions. Par ailleurs, la situation du prévenu ou de l’accusé est bien pire : la prison doit toujours être le dernier recours, celui qui est employé avec parcimonie et sagesse. S’il peut être parfois nécessaire d’écarter un délinquant ou un criminel de la société, il est également non moins essentiel d’assurer la réhabilitation de celui-ci et sa réinsertion. Or, quelle possibilité de réinsertion si en premier lieu la peine est incompréhensible pour celui qui la subit ? Dans le cas tranché par la Cour d’Assises du Loiret, l’accusée affirmait avoir informé son époux de sa sérologie. Il existait par ailleurs des doutes quant à la scientificité de la preuve qu’elle aurait infecté la partie civile. Quoiqu’il en soit, punir celui qui n’a pas su révéler son statut sérologique, punir celui qui n’a pas pu le révéler ou celui qui aurait du seulement le savoir, revient à incarcérer des personnes qui n’auront, pas nécessairement, la conscience infractionnelle. La vertu de la sanction pénale était déjà évoquée chez Platon. Le philosophe considérant qu’un coupable emprisonné est toujours plus heureux qu’un coupable en liberté et ce, au nom, de la nécessaire rédemption. Mais que pourrait-on dire des personnes privées de liberté et qui n’ont pas la conscience de leur culpabilité ? Cela signifierait-il que toutes les personnes s’engageant dans des relations sexuelles non protégées sont autant de criminels en puissance ? La peine d’emprisonnement n’est pas une solution : seul le respect d’une certaine « morale » et une meilleure éducation à la prévention peuvent permettre une prise de conscience optimale de la nécessité de se protéger. en savoir plus sur le droit pénal

Le sida ne se dit pas

Même près de 30 ans après le début de l’épidémie, le sida n’est toujours pas considéré comme une maladie comme les autres. Parce que celle-ci touche à divers tabous (le sang, le sexe, la mort), en parler à ses partenaires sexuels reste difficile. Cela peut conduire ceux-ci à rejeter la relation sexuelle, même protégée. Cela peut également impliquer de révéler un autre secret : relation extraconjugale non protégée pour le conjoint, homosexualité ou bisexualité, conduite toxicologique… On comprendra aisément que révéler ou non sa séropositivité est une chose lourde de conséquences qui ne peut se faire aisément. Il n’en demeure pas moins que taire sa séropositivité au VIH est une chose, s’engager dans une relation non protégée alors que l’on se sait contaminé ou que l’on pense pouvoir l’être en est une autre. Mais là encore, les choses ne sont pas toujours simples : négocier le port d’un préservatif peut s’avérer très problématique dans un certain nombre de cas. Notamment, dans la relation conjugale : de facto, protéger son / sa partenaire implique de faire naître dans l’esprit de celui-ci un doute quant à l’existence d’une liaison extra conjugale ou de pratiques toxicologiques. Des stratégies de contournement de la difficulté existent mais elles ne sont ni connues de toutes et tous, ni mobilisables instantanément. Par ailleurs, s’agissant de partenaires occasionnels, la négociation du préservatif peut être interprétée comme une réaction de défiance : si j’insiste pour me protéger, c’est peut être que je n’ai pas confiance en mon / ma partenaire et / ou que j’ai quelque chose à cacher… Ce qui devrait être le principe (la relation sexuelle protégée) peut devenir, en pratique, une attitude d’exception. A ce titre, certaines espèces mentionnées en introduction jouaient sur ces attitudes pour refuser le préservatif : signe de défiance, prétendue allergie au latex, peur des conséquences ou du rejet. Bien malheureusement, tant révéler son statut sérologique ou l’existence d’une prise de risque qu’utiliser un préservatif masculin ou féminin ne coule pas de source : cet état de fait peut s’expliquer en rappelant que la relation sexuelle se prête mal aux modélisations théoriques. Si se protéger et protéger les autres est une posture morale indéniable (pour reprendre Kant à la manière de Christian Vanneste, « celui qui se protège et protège ses partenaires est moralement supérieur à celui qui ne le fait pas »), la pratique est bien plus hasardeuse : face à la pulsion sexuelle, la seule morale peut rapidement devenir insuffisante lors de la négociation d’une relation sexuelle et du port du préservatif.

Le réel, le symbolique et l'imaginaire

Rappelons également à toutes fins utiles, que les stratégies de prévention adoptées par tout un chacun peuvent s’écarter dangereusement des bonnes pratiques recommandées par les organismes sanitaires ou les associations de malades. Si pour ces dernières la seule méthode de prévention efficace est l’usage systématique du préservatif et l’unique posture morale pertinente, la responsabilité partagée, tel n’est pas nécessairement le cas de l’individu moyen. Le sociologue Rommel Mendès-Leite a modélisé ces autres moyens de prévention sous l’appellation « protections imaginaires et symboliques ». Ici, il ne s’agit pas de mettre en exergue d’autres modes de préventions objectifs (au sens du préservatif), mais bien d’aborder ce qui va permettre pour l’individu lambda de différencier subjectivement le rapport à risque du safe sex. Pour certains il s’agira d’analyser l’apparence physique du partenaire (les rondeurs sont positives, la présence de tâches suspectes rappelant le sarcome de Kaposi, non, tout comme une répartition graisseuse anormale qui pourrait s’avérait être une lipodystrophie), de considérer des critères « moraux » (un passé de toxicomane, une bisexualité revendiquée ou supposée sont des éléments suspects), ou d’adapter sa conduite en fonction de la pratique envisagée (coït anal ou vaginal protégés, port du préservatif plus hasardeux dans le cadre d’une fellation) ou de la régularité de la relation (est-elle récente ? ancienne ? exclusive ? dans le cadre des liens du mariage ?). Ces protections ont toutes comme point commun d’être imaginaires et de remettre le sort de leur usager entre les mains de l’autre. Nous ne prétendons pas que la fidélité n’est qu’un mythe (et heureusement !) mais simplement qu’en matière de prophylaxie le préservatif est la seule méthode efficace. Les autres critères sont nettement plus aléatoires et ce d’autant plus que les multithérapies permettent aux malades de conserver, et c’est heureux, une activité et une apparence extérieure normale sur une plus longue période. Ces protections sont donc inefficaces et en disent plus long sur la perception qu’a l’opinion publique du sida (des critères essentiellement stigmatisants rappelant vaguement les 4 « H » du début de l’épidémie) que sur les moyens de se prémunir de l’infection. Pire même ! La répression pénale pourrait aisément rejoindre ces protections imaginaires : en considérant la réprobation de la société en cas de contamination suite à un rapport non protégé, la personne séronégative pourra avoir tendance à s’en remettre à son partenaire pour révéler son statut sérologique ou proposer un préservatif. Cette modélisation de la responsabilité faisant peser à 100 % sur la personne vivant avec le VIH le soin d’imposer une relation sexuelle protégée est pernicieuse : de par son statut de protection imaginaire, de par la négation de la difficulté qu’il peut y avoir à révéler une sérologie positive, de par son effet délétère sur toute politique de prévention efficace…

Prévenir ou punir, la société doit choisir

A partir du moment où il est nécessaire d’instaurer une limite au-delà de laquelle la responsabilité pénale de la personne vivant avec le VIH est engagée dans le cadre d’un rapport sexuel non protégé, la prévention ne peut plus fonctionner pleinement. En effet, nous l’avons vu, une infraction pénale suppose le plus souvent l’existence d’un dol, d’une intention ou d’une conscience infractionnelle. Or, cette dernière suppose que la personne se sache séropositive au VIH : nous voyons donc le problème lié au dépistage. S’agissant d’un délit (voir d’un crime en cas de circonstance aggravante telle la relation conjugale liant la victime à l’accusé), le secret médical pourra être éventuellement levé : nous passons donc d’une logique de dépistage anonyme à celle d’un dépistage pouvant éventuellement servir à abonder à charge dans un dossier d’instruction. Ce risque est d’autant plus fort que contrairement à d’autres infractions, « l’administration de substances nuisibles ayant entraîné un infirmité permanente » peut concerner un grand nombre de personnes. Techniquement, toute personne vivant avec le VIH n’ayant pu ni négocier le port d’un préservatif ni révéler sa sérologie. Le médecin, tout comme l’avocat, pour obtenir la confiance nécessaire à l’accomplissement de sa mission ne doit jamais pouvoir se retrouver en position d‘auxiliaire de police. Par ailleurs, les tests VIH n’ont pas été mis en place pour les besoins des instructions pénales mais bel et bien pour permettre aux hommes et aux femmes de prendre en main leur santé et de protéger les autres. Cette logique de répression est incompatible avec toute politique raisonnable de prévention. Si les condamnations se poursuivent ou si un texte nouveau est édicté, il est à prévoir un effet néfaste sur le nombre de dépistages en France, faisant perdre, par là même, à de nombreux malades toute possibilité de recourir à des traitements en temps utiles… Il n’est pas exclu, à l’instar de certaines législations étrangères, que puissent être poursuivies tant les personnes qui se savaient séropositives au VIH que celles qui, légitimement, pouvaient s’en douter. Nous le voyons parfaitement : la responsabilité peut être poussée à l’infini (et élargie à d’autres séropositivités : VHC, HPV, CMV). Mettre en prison des malades, dévoyer des moyens inventés pour la médecine à des fins répressives, mettre à la charge des personnes vivant avec le VIH des obligations délirantes, ce n’est pas une bonne manière de faire de la prévention : si l’objectif en revanche est de créer une crainte généralisée, il sera parfaitement rempli. Quand bien même cela sonnerait le glas du principe de responsabilité partagée. Nous pensons, au contraire, que le choix individuel est indispensable : si l’on veut se protéger, il faut s’en remettre à soi même et non pas à l’autre, en bref, devenir acteur de sa propre santé. Il est nécessaire, par ailleurs, de rejeter toute forme de pénalisation de la contamination en tant que telle et de revoir notre façon d’enseigner la prévention. Expliquer à tous les allergiques au latex qu’il existe des préservatifs masculins comme féminins qui en sont dépourvus, mettre l’accent sur la possibilité de bénéficier d’un traitement antirétroviral préventif en cas de prise de risque dans les 48 heures de cette dernière, rappeler que la seule protection efficace est et demeurera le préservatif…

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